Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/390

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eu quelque avantage d’une affaire qui m’a rendu le plus malheureux homme du monde, vous êtes un mois sans m’écrire, et vous oubliez assez tous les devoirs pour parler de moi d’une manière désagréable. Je vous avoue que, si quelque chose m’a touché dans mon malheur, c’est un procédé si étrange. Je ne serais pas étonné que la même paresse et que la même légèreté de caractère, qui vous a fait à Londres négliger la révision même de cette édition, qui vous a empêché de m’envoyer les journaux et de me donner les avis nécessaires, vous eût empêché aussi de m’écrire, depuis que vous êtes à Paris ; mais pousser ce procédé jusqu’à faire gloire d’être mal avec moi, voilà ce que je ne peux croire. Je veux donner un démenti à ceux qui le disent, comme je le donne à ceux qui m’ont calomnié sur votre compte. Si jamais nous avons dû être unis, c’est dans un temps où une affaire qui nous est en partie commune a fait ma perte. Il est de votre honneur d’être mon ami, et mon cœur s’accorde, en cela, avec votre devoir. Je n’ai fait aucune prière au ministère, mais j’en fais à l’amitié. Je fais plus de cas de la vertu que des puissances, et je mérite que vous m’aimiez, que vous rougissiez de votre procédé, et que vous me défendiez contre la calomnie, qui ose m’attaquer jusque dans vous-même.


359. — Á M. DE FORMONT.

Philosophe aimable, à qui il est permis d’être paresseux, sortez un moment de votre douce mollesse, et ne donnez pas au chanoine Linant l’exemple dangereux d’une oisiveté qui n’est pas faite pour lui. Je lui mande[1], et vous en conviendrez, que ce qui est vertu dans un homme devient vice dans un autre. Écrivez-moi donc souvent pour l’encourager, et renvoyez-le-moi, quand vous l’aurez mis dans le bon chemin. J’ai besoin qu’il vienne m’exciter à rentrer dans la carrière des vers. Il y a bien longtemps que je n’ai monté les cordes de ma lyre. Je l’ai quittée pour ce qu’on appelle philosophie, et j’ai bien peur d’avoir quitté un plaisir réel pour l’ombre de la raison. J’ai relu le raisonneur Clarke, Malebranche, et Locke. Plus je les relis, plus je me confirme dans l’opinion où j’étais que Clarke est le meilleur sophiste qui ait jamais été ; Malebranche, le romancier le plus subtil ; et Locke, l’homme le plus sage. Ce qu’il n’a pas vu

  1. Voyez, tome X, page 498, dans les Poésies mêlées (année 1733), les vers adressés à Linant.