Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/417

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informer ? Je sais que ce père est très-vieux. On pourrait, à sa mort, faire une saisie.

En un mot, monsieur, vous êtes sur les lieux ; vous vous étiez chargé de cette affaire : c’est sur votre promesse que j’avais prêté mon argent à ce misérable avec tant de bonne foi. Puisqu’il vous doit de l’argent, unissez mes intérêts aux vôtres : si je pouvais toucher sept cents livres, je vous abandonnerais la somme pour vos peines.

J’ajouterai à tout ce que je viens de vous dire que vous pourriez intimider l’acquéreur. Je sais à point nommé qu’il a acheté le bénéfice, et il ne me sera pas difficile de le prouver, Mac-Carthy s’en étant vanté à deux personnes. Je puis en écrire aux ministres, et surtout à monseigneur le cardinal de Fleury. J’attends, monsieur, votre réponse pour me déterminer.

Je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


380. — Á M. BROSSETTE.
Le 22 novembre.

Je regarde, monsieur, comme un de mes devoirs de vous envoyer les éditions de la Henriade qui parviennent à ma connaissance : en voici une qui, bien que très-fautive, ne laisse pas d’avoir quelque singularité, à cause de plusieurs variantes qui s’y trouvent, et dans laquelle on a, de plus, imprimé mon Essai sur l’Épopée tel que je l’ai composé en français, et non pas tel que M. l’abbé Desfontaines l’avait traduit, d’après mon Essai anglais. Vous trouverez peut-être assez plaisant que je sois un auteur traduit par mes compatriotes, et que je me sois retraduit moi-même. Mais si vous aviez été deux ans, comme moi, en Angleterre, je suis sûr que vous auriez été si touché de l’énergie de cette langue que vous auriez composé quelque chose en anglais.

Cette Henriade a été traduite en vers, à Londres et en Allemagne. Cet honneur, qu’on me fait dans les pays étrangers, m’enhardit un peu auprès de vous. Je sais que vous êtes en commerce avec Rousseau, mon ennemi ; mais vous ressemblez à Pomponius Atticus, qui était courtisé à la fois par César et par Pompée. Je suis persuadé que les invectives de cet homme, en qui je respecte l’amitié dont vous l’honorez, ne feront que vous affermir dans les bontés que vous avez toujours eues pour moi. Vous êtes l’ami de tous les gens de lettres, et vous n’êtes jaloux d’aucun. Plût à Dieu que Rousseau eût un caractère comme le vôtre !