Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/429

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la même. Le public, qui applaudit à la seconde représentation ce qu’il avait condamné à la première, a prétendu, pour se justifier, que j’avais tout refondu, et je l’ai laissé croire.

Adieu, mon cher ami. Écrivez, je vous en prie, à Linant qu’il a besoin d’avoir une conduite très-circonspecte ; que rien n’est plus capable de lui faire tort que de se plaindre qu’il n’est pas assez bien chez un homme à qui il est absolument inutile, et qui, de compte fait, dépense pour lui seize cents francs par an. Une telle ingratitude serait capable de le perdre. Je vous ai toujours dit que vous le gâtiez. Il s’est imaginé qu’il devait être sur un pied brillant dans le monde, avant d’avoir rien fait qui pût l’y produire. Il oublie son état, son inutilité, et la nécessité de travailler ; il abuse de la facilité que j’ai eue de lui faire avoir son entrée à la Comédie ; il y va tous les jours, sur le théâtre, au lieu de songer à faire une pièce. Il a fait en deux ans une scène qui ne vaut rien ; et il se croit un personnage, parce qu’il va au théâtre et chez Procope[1]. Je lui pardonne tout, parce que vous le protégez ; mais, au nom de Dieu, faites-lui entendre raison, si vous en espérez encore quelque chose.


394. — Á M. DE MONCRIF.

Je suis très-flatté, je vous assure, mon cher monsieur, de recevoir quelques-uns de vos ordres ; mais je crains bien de ne pouvoir les exécuter. M. Falkener[2], mon ami, n’est point à Alexandrie, mais à Constantinople, dont il doit partir incessamment. Il est vrai qu’il a du goût pour l’antiquaille, mais ce n’est ni pour alun, borax, terre sigillée ou plante marine. Son goût se renferme dans les médailles grecques et dans les vieux auteurs : de sorte qu’excepté les draps et les soies, auxquels il s’entend parfaitement bien, je ne lui connais d’autre intelligence que celle d’Horace et de Virgile, et des vieilles monnaies du temps d’Alexandre. Cependant, monsieur, s’il lui tombe entre les mains quelque coquille de colimaçon turc, quelques morceaux de soufre du lac de Sodome, quelque araignée ou

  1. C’est toujours le nom que porte un café de la rue de l’Ancienne-Comédie, en face duquel était la Comédie française, de 1689 à 1770. Ce café avait été établi par François Procope Couteaux, d’une famille noble de Palerme, vers 1689.
  2. Voyez ci-dessus, lettre 351 ; et tome II, pages 537 et 547.