Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très-religieux dans un autre, mais qui, chez moi, seraient impies, grâce à la justice qu’on a coutume de me rendre.

Enfin le grand point est que vous soyez content ; et, si la pièce vous plaît, le reste ira tout seul : trouvez seulement mon enfant joli, adoptez-le, et je réponds de sa fortune. Je n’ai point vu le conte du jeune Crébillon. On dit que si je l’avais fait, je serais brûlé : c’est tout ce que j’en sais. Je n’ai point lu les Mécontents[1], et ne sais même s’ils sont imprimés. J’ai vécu, depuis deux mois, dans une ignorance totale des plaisirs et des sottises de votre grande ville. Je ne sais autre chose, sinon que je regrette votre commerce charmant, et que j’ai bien peur de le regretter encore longtemps. Voilà ce qui m’intéresse, car je vous serai attaché toute ma vie, et j’en mettrai le principal agrément à en passer quelques années avec vous. Parlez de moi, je vous en prie, à la philosophe[2] qui vous rendra cette lettre : elle est comme vous, l’amitié est au rang de ses vertus ; elle a de l’esprit sans jamais le vouloir ; elle est vraie en tout. Je ne connais personne au monde qui mérite mieux votre amitié. Que ne suis-je entre vous deux, mon cher ami, et pourquoi suis-je réduit à écrire à l’un et à l’autre !

Adieu ; je vous embrasse ; adieu, aimable et solide ami.


448. — Á M. BERGER.
Cirey.

Oui, mon cher monsieur, je rends justice à votre amitié et à votre discrétion. Je suis également touché de l’une et de l’autre. Je fais un effort pour avoir le plaisir de vous le dire. Ma santé est si mauvaise, et je suis à présent dans un accablement si grand, qu’à peine ai-je la force d’écrire un mot. C’est une consolation bien chère pour moi d’avoir trouvé un ami comme vous. Ce que les hommes appellent malheur a redoublé vos attentions pour moi, et plus vous m’avez vu à plaindre, plus vous m’avez marqué de tendresse et d’empressement. J’en serai reconnaissant toute ma vie. Je n’ai pas trouvé dans tous mes amis la même fidélité et la même constance ; aussi je compte sur vous plus que sur personne. Vos lettres me font un plaisir bien sensible. Vous me rendez intéressantes toutes les nouvelles que vous m’apprenez, et vous me paraissez un juge si impartial que je suis

  1. Comédie en vers, de La Bruère, jouée le 1er décembre 1734.
  2. Mme du Châtelet, qui retournait de Cirey à Paris.