Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
32
CORRESPONDANCE.

Je lui dis sur mon violon :
« Eh ! de grâce, monsieur Chapelle,
Quittez le manoir de Pluton,
Pour cet enfant qui vous appelle.
Mais non, sur la voûte éternelle
Les dieux vous ont reçu, dit-on,
Et vous ont mis entre Apollon
Et le fils joufflu de Sémèle.
Du haut de ce divin canton,
Descendez, aimable Chapelle. »
Cette familière oraison
Dans la demeure fortunée
Reçut quelque approbation :
Car enfin, quoique mal tournée,
Elle était faite en votre nom.
Chapelle vint. À son approche
Je sentis un transport soudain ;
Car il avait sa lyre en main,
Et son Gassendi[1] dans sa poche ;
Il s’appuyait sur Bachaumont,
Qui lui servit de compagnon
Dans le récit de ce Voyage,
Qui du plus charmant badinage
Fut la plus charmante leçon.

Je vous dirai pourtant en confidence, et si la poste ne me pressait, je vous le rimerais ; ce Bachaumont n’est pas trop content de Chapelle. Il se plaint qu’après avoir tous deux travaillé aux mêmes ouvrages, Chapelle lui a volé la moitié de la réputation qui lui appartenait. Il prétend que c’est à tort que le nom de son compagnon a étouffé le sien : car c’est moi, me dit-il tout bas à l’oreille, qui ai fait les plus jolies choses du Voyage, et, entre autres,

Sous ce berceau qu’Amour exprès…

Mais il ne s’agit pas ici de rendre justice à ces deux messieurs ; il suffit de vous dire que je m’adressai à Chapelle pour lui demander comment il s’y prenait autrefois dans le monde


Pour chanter toujours sur sa lyre,
Ces vers aisés, ces vers coulants,

  1. Gassendi avait élevé la jeunesse de Chapelle, qui devint grand partisan du système de philosophie de son précepteur. Toutes les fois qu’il s’enivrait, il expliquait le système aux convives ; et lorsqu’ils étaient sortis de table, il continuait la leçon au maître d’hôtel. (Note de Voltaire.)