Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/539

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magne[1] avec la valeur de dix mille livres d’appointement ; et je n’ai refusé cette place que pour vivre en France avec quelques amis, ne présumant pas qu’on ait la barbarie de me persécuter ; et si on l’avait, je vivrais ailleurs heureux et tranquille. À l’égard des réponses que vous avez bien voulu faire à mes questions philosophiques, je vous avoue qu’elles m’ont bien étonné, et que j’attendais tout autre chose.

1° Je ne vous ai point demandé s’il y a dans la matière un principe d’attraction et de gravitation ; mais je vous ai demandé si ce principe commençait d’être un peu généralement connu parmi les savants de votre ordre, et si ceux qui ne l’admettent pas encore y font quelques objections vraisemblables.

Là-dessus vous me répondez qu’un corps pèse sur un autre, quand il en pousse un autre, etc. : ce qui me fait juger que ni vous ni ceux à qui vous avez montré les réponses, n’avez pas encore daigné vous appliquer à lire les principes de M. Newton ; car ce n’est nullement de corps poussé dont il s’agit : la question est de savoir s’il y a une tendance, une gravitation, une attraction du centre de chaque corps, les uns vers les autres, à quelque distance prodigieuse qu’ils puissent être. Cette propriété de la matière, découverte et démontrée par le chevalier Newton, est aussi vraie qu’étonnante, et la moitié de l’Académie des sciences, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas cru indigne de leur raison d’apprendre ce qu’ils ne savaient pas, commencent à reconnaître cette vérité dont toute l’Angleterre, le pays des philosophes, commence à être instruite. À l’égard de notre Université, elle ne sait pas encore ce que c’était que Newton. C’est une chose déplorable qu’il ne soit jamais sorti un bon livre des Universités de France, et qu’on ne puisse seulement trouver chez elles une introduction passable à l’astronomie, tandis que l’Université de Cambridge produit tous les jours des livres admirables de cette espèce ; aussi ce n’est pas sans raison que les étrangers habiles ne regardent la France que comme la crème fouettée de l’Europe.

Je souhaiterais que les jésuites, qui ont les premiers fait entrer les mathématiques dans l’éducation des jeunes gens, fussent aussi les premiers à enseigner des vérités si sublimes, qu’il faudra bien qu’ils enseignent un jour, quand il n’y aura plus d’honneur à les connaître, mais seulement de la honte à les ignorer.

Ce que vous me dites à propos du mouvement (qui n’est point

  1. Dans la lettre n° 539 et dans celle du 27 novembre 1736, Voltaire nomme le duc de Holstein.