Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/579

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Mais cet argument, qui démontre que la pensée ne peut être le composé d’un corps, serait absolument étranger à la question présente. Car je ne dis ni que l’esprit soit matière, ni que la pensée soit un composé de matière, mais seulement qu’il n’est pas impossible à Dieu de joindre la pensée à cet être aussi inconnu que la pensée, lequel nous appelons matière.

Dieu ne peut faire les contradictoires ; cela est vrai, parce que ce n’est pas un pouvoir de faire ce qui est absurde ; c’est, au contraire, une négation de pouvoir : il reste donc à examiner où est la contradiction que la matière puisse recevoir de Dieu la pensée.

Pour savoir de quoi une chose est ou n’est pas capable, il faut la connaître entièrement. Or nous ne connaissons rien de la matière ; nous savons bien que nous avons certaines sensations, certaines idées ; par exemple, dans un morceau d’or nous apercevons de l’étendue, de la dureté, de la pesanteur, une couleur jaune, de la ductilité, etc. ; mais cette substance, ce sujet, cet être à quoi tout cela est attaché, nous ne savons pas plus ce que c’est que nous ne savons comment sont faits les habitants de Saturne.

Si Dieu a voulu que certains corps organisés pensent, ce n’est ni comme étendus ni comme divisibles qu’ils pensent. Ils auront la pensée indépendamment de tout cela, parce que Dieu la leur aura donnée.

Je ne conçois pas comment la matière pense ; je ne conçois pas non plus comment un esprit pense. N’est-il pas vrai que Dieu peut créer un être doué de mille qualités inconnues à moi, sans lui communiquer ni la pensée ni l’étendue ? Ne peut-il pas ensuite donner la faculté de penser à cet être ? Et, après lui avoir donné cette faculté, ne peut-il pas lui communiquer l’étendue ? Or, si Dieu peut communiquer à une substance l’étendue après la pensée, pourquoi ne peut-il pas lui donner la pensée après l’étendue ?

Mais, dit-on l′âme est immortelle. Cela est vrai ; la foi nous le dit, et personne n’en doute chez les chrétiens. Mais ce dogme empêche-t-il que Dieu ne puisse joindre la pensée et l’étendue dans un même sujet ? Au contraire, si une certaine étendue existe avec la faculté de penser, il est sûr que cette étendue ne périt point ; elle ne fait que changer de qualité et de place, et il est aussi facile à Dieu de lui conserver la pensée qu’il lui a été facile de la lui donner : car la pensée étant l’action de Dieu sur la matière, rien n’empêche Dieu d’agir toujours.