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ANNÉE 1718.

pourrai vous marquer ma reconnaissance qu’en me rendant digne, par ma conduite, de cette grâce et de votre protection. Je crois avoir profité de mes malheurs, et j’ose vous assurer que je n’ai pas moins d’obligation à M. le Régent de ma prison que de ma liberté. J’ai fait beaucoup de fautes ; mais je vous conjure, monsieur, d’assurer Son Altesse royale que je ne suis ni assez méchant, ni assez imbécile pour avoir écrit contre elle. Je n’ai jamais parlé de ce prince que pour admirer son génie, et j’en aurais dit tout autant quand même il eût été un homme privé. J’ai toujours eu pour lui une vénération d’autant plus profonde que je sais qu’il hait la louange autant qu’il la mérite. Quoique vous lui ressembliez en cela, je ne puis m’empêcher de me féliciter d’être entre vos mains, et vous dire que votre intégrité m’assure du bonheur de ma vie.

Je suis avec beaucoup de respect et de reconnaissance, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Arouet.



33[1]. — À M. LE COMTE DE MAUREPAS.
Châtenay, 2 mai 1718[2]

Monseigneur, mes malheurs et mon innocence m’assurent de votre protection, et je me flatte que la lettre que j’ai l’honneur de vous écrire sera bien reçue, puisque je vous demande une grâce. Je ne vous importune point pour abréger le temps de mon exil, ni pour avoir la permission de passer une seule heure à Paris ; l’unique grâce que j’ose vous demander, c’est de vouloir bien assurer Son Altesse royale que je lui ai autant d’obligation de ma prison que de ma liberté, et que j’ai beaucoup profité de l’une et que je n’abuserai jamais de l’autre.

Toutes les apparences étant contre moi, je n’ai point eu à me plaindre de la justice de monseigneur le Régent, et je me louerai toute ma vie de sa clémence ; mais je ne me consolerai jamais d’avoir été assez malheureux pour avoir été soupçonné d’avoir écrit contre un si bon prince. Je puis vous assurer sur ma tête qu’il n’y a pas un seul homme en France qui puisse prouver, je ne dis pas que j’aie fait cette abominable inscription[3] dont on

  1. Revue rétrospective, 1834, Détentions de Voltaire.
  2. Voltaire était alors exilé à Châtenay, où le Régent l’avait fait reléguer après sa sortie de la Bastille (11 avril 1718).
  3. Le Regnante puero. Voyez (manuscrit de la Bibliothèque nationale) le Recueil de chansons, vaudevilles, sonnets, épigrammes, épitaphes, et autres vers sati-