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ANNÉE 1721.

pourraient beaucoup mieux employer ; et, comme leur goût décide des nôtres, nous nous sommes tous faits physiciens pour l’amour d’elles.

Le soir sur des lits de verdure,
Lits que de ses mains la nature.
Dans ces jardins délicieux,
Forma pour une autre aventure,
Nous brouillons tout l’ordre des cieux :
Nous prenons Vénus pour Mercure ;
Car vous saurez qu’ici l’on n’a
Pour examiner les planètes.
Au lieu de vos longues lunettes,
Que des lorgnettes d’opéra.

Comme nous passons la nuit à observer les étoiles, nous négligeons fort le soleil, à qui nous ne rendons visite que lorsqu’il a fait près des deux tiers de son tour. Nous venons d’apprendre tout à l’heure qu’il a paru de couleur de sang tout le matin ; qu’ensuite, sans que l’air fût obscurci d’aucun nuage, il a perdu sensiblement de sa lumière et de sa grandeur : nous n’avons su cette nouvelle que sur les cinq heures du soir. Nous avons mis la tête à la fenêtre, et nous avons pris le soleil pour la lune, tant il était pâle. Nous ne doutons point que vous n’ayez vu la même chose à Paris.

C’est à vous que nous nous adressons, monsieur, comme à notre maître. Vous savez rendre aimables les choses que beaucoup d’autres philosophes rendent à peine intelligibles ; et la nature devait à la France et à l’Europe un homme comme vous pour corriger les savants, et pour donner aux ignorants le goût des sciences.

Or dites-nous donc, Fontenelles,
Vous qui, par un vol imprévu,
De Dédale prenant les ailes,
Dans les cieux avez parcouru
Tant de carrières immortelles,
Où saint Paul avant vous a vu
Force beautés surnaturelles.
Dont très-prudemment il s’est lu :
Du soleil, par vous si connu.
Ne savez-vous point de nouvelles ?
Pourquoi sur un char tout sanglant
A-t-il commencé sa carrière ?
Pourquoi perd-il, pâle et tremblant,
Et sa grandeur et sa lumière ?