Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/112

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des trésors d’esprit, si l’on peut s’exprimer ainsi, et des pièces travaillées avec tant de goût, de délicatesse, et d’art, que les beautés en paraissent nouvelles, chaque fois qu’on les relit. Je crois y avoir reconnu le caractère de leur ingénieux auteur, qui fait honneur à notre siècle et à l’esprit humain. Les grands hommes modernes vous auront un jour l’obligation, et à vous uniquement, en cas que la dispute, à qui d’eux ou des anciens la préférence est due, vienne à renaître, que vous ferez pencher la balance de leur côté.

Vous ajoutez à la qualité d’excellent poëte une infinité d’autres connaissances qui, à la vérité, ont quelque affinité avec la poésie, mais qui ne lui ont été appropriées que par votre plume. Jamais poëte ne cadença des pensées métaphysiques ; l’honneur vous en était réservé le premier. C’est ce goût que vous marquez dans vos écrits pour la philosophie, qui m’engage à vous envoyer la traduction que j’ai fait faire de l’accusation et de la justification du sieur Wolff, le plus célèbre philosophe de nos jours, qui, pour avoir porté la lumière dans les endroits les plus ténébreux de la métaphysique, et pour avoir traité ces difficiles matières d’une manière aussi relevée que précise et nette, est cruellement accusé d’irréligion et d’athéisme. Tel

    ont été les plus habiles capitaines de ce siècle : tous deux comparables aux plus illustres des siècles passés.


    Frédéric a eu sur Maurice l’avantage d’être roi, et celui de pouvoir lever et discipliner des troupes à son choix : avantage que rien ne peut compenser. Tous deux se sont signalés par des marches savantes, par des victoires, par des sièges.

    Frédéric a surmonté plus de difficultés que Maurice, ayant eu à combattre plus d’ennemis : tantôt les Autrichiens, tantôt les Français et les Russes. Son père avait augmenté jusqu’à soixante six mille hommes ses troupes, qui n’étaient auparavant qu’au nombre de vingt mille. Le nouveau roi, dès sa première campagne, eut plus de quatre-vingt mille hommes, et en eut ensuite jusqu’à cent quarante mille.

    Sa première bataille fut celle de Molwitz en Silésie, le 17 d’avril 1741.

    Le roi son père avait formé et discipliné son infanterie ; mais la cavalerie avait été négligée : aussi fut-elle battue. L’infanterie rétablit l´ordre, et remporta la victoire. Frédéric, depuis ce jour, disciplina lui-même sa cavalerie, et la rendit une des meilleures de l’Europe.

    Ce ne fut, dans cette guerre contre la maison d’Autriche, qu’un enchaînement de victoires. Celle de Czaslaw, sur la rivière de Crudemka près de l’Elbe, le 17 mai 1742, fut une des plus célèbres. Le roi, à la tête de sa cavalerie, soutint longtemps l’effort de celle d’Autriche, et enfin la dissipa. Sa conduite seule fit le succès de cette journée.

    La bataille de Friedberg, gagnée contre les Autrichiens et les Saxons, le 4 juin 1745 lui fit encore plus d’honneur, au jugement de tous les militaires. On prétend qu’il écrivit au roi de France, alors son allié : « J’ai acquitté à vue la lettre de change que vous avez tirée sur moi de votre camp de Fontenoy. »

    La victoire remportée auprès de Prague, le 6 mai 1757, fut de toutes la plus brillante. Mais il acquit une autre espèce de gloire bien plus rare, en publiant, de vive voix et par écrit, que si, quelques semaines après, il perdit la bataille de Kolins, ce ne fut pas la faute de ses troupes, mais la sienne. Il avait attaqué avec trop d’opiniâtreté un corps inattaquable.

    Enfin, sans compter un grand nombre d’autres actions où il commanda toujours en personne, on connaît la bataille de Rosbach, où il défit presque en un moment une armée trois fois aussi forte que la sienne, mais commandée par un