Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/129

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et si éclairée ne connaît point le trésor[1] qu’elle renferme dans son sein. Quoi ! ce même Voltaire à qui nos mains érigent des autels et des statues est négligé dans sa patrie, et vit en solitaire dans le fond de la Champagne ! C’est un paradoxe, c’est une énigme, c’est un effet bizarre du caprice des hommes. Non, monsieur, les querelles des savants ne me dégoûteront jamais du savoir ; je saurai toujours distinguer ceux qui avilissent les sciences, des sciences mêmes. Leurs disputes viennent ordinairement ou d’une ambition démesurée et d’une avidité insatiable de s’acquérir un nom, ou de l’envie qu’un mérite médiocre porte à l’éclat brillant d’un mérite supérieur qui l’offusque.

Les grands hommes sont exposés à cette dernière sorte de persécution. Les arbres dont les sommets s’élèvent jusqu’aux nues sont plus en butte à l’impétuosité des vents que les arbrisseaux qui croissent sous leur ombrage. C’est ce qui, du fond des enfers, suscita les calomnies répandues contre Descartes et contre Bayle ; c’est votre supériorité et celle de M. Wolff qui révoltent les ignorants, et qui font crier ceux dont la présomption ridicule voudrait perdre tout homme dont l’esprit et les connaissances effacent les leurs. Supposez, pour un moment, que de grands hommes s’oublient jusqu’à s’acharner les uns contre les autres : doit-on pour cela leur retrancher le titre de grands et l’estime que l’on a pour eux, fondée sur tant d’éminentes qualités ? Le public, d’ordinaire, ne fait point de grâce : il condamne les moindres fautes ; son jugement ne s’attache qu’au présent ; il compte le passé pour rien ; mais on ne doit pas imiter le public dans cette façon de juger les hommes d’un mérite supérieur. Je cherche des hommes savants, d’honnêtes gens ; mais enfin ce sont des hommes que je cherche : ainsi je ne dois pas m’attendre à les trouver parfaits. Où est le modèle de vertu exempte de tout blâme ? Il est resté dans l’entendement du Créateur, et je ne crois pas qu’il nous en ait encore donné de copie. Je désire qu’on ait pour mes défauts la même indulgence que j’ai pour ceux des autres. Nous sommes tous hommes, et, par conséquent, imparfaits : nous ne différons que par le plus ou le moins ; mais le plus parfait tient toujours à l’humanité par un petit coin d’imperfection.

Pour les frelons du Parnasse, quand ils m’étourdissent de leurs querelles, je les renvoie à la préface[2] d’Alzire, où vous leur faites, monsieur, une leçon qu’ils ne devraient jamais perdre de vue, et à laquelle on ne peut rien ajouter.

À l’égard des théologiens, il me semble qu’ils se ressemblent tous, de quelque religion et de quelque nation qu’ils soient : leur dessein est toujours de s’arroger une autorité despotique sur les consciences. Cela suffit pour les rendre persécuteurs zélés de tous ceux dont la noble hardiesse ose dévoiler la vérité ; leurs mains sont toujours armées du foudre de l’anathème pour écraser ce fantôme imaginaire d’irréligion, qu’ils combattent sans cesse, Đ

  1. Qu’une nation depuis longtemps en possession du bon goût ne reconnaît point le trésor… (Variante des Œuvres posthumes.)
  2. Vovez la note sur la lettre 555.