Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/131

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dont l’esprit était accoutumé à penser toute leur vie, n’ont pu entièrement secouer le joug des opinions pour parvenir à des connaissances certaines, à quoi peut s’attendre un écolier en philosophie tel que moi ?

W. Wolff sera très-flatté de l’approbation dont vous honorez sa Métaphysique : elle la mérite en effet ; c’est un des ouvrages les plus achevés en ce genre. Il y a plaisir à se soumettre aux yeux d’un juge auquel les beaux endroits et les faibles n’échappent point.

Je suis fâché de ne pouvoir accompagner ma lettre de la traduction de cette Métaphysique, dont je vous ai envoyé un espèce d’extrait, et que je vous ai promise tout entière. Vous savez, monsieur, que ces sortes d’ouvrages ne sont pas petits, et qu’ils se font fort lentement. Je fais copier cependant ce qui est achevé, et j’espère de le joindre à la première de mes lettres.

J’accompagne celle-ci de la Logique de M. Wolff, traduite par le sieur Deschamps[1], jeune homme né avec assez de talent ; il a l’avantage d’avoir été disciple de l’auteur, ce qui lui a procuré beaucoup de facilité dans sa traduction. Il me parait qu’il a assez heureusement réussi : je souhaiterais seulement, pour l’amour de lui, qu’il corrigeât et abrégeât l’épître dédicatoire dans laquelle il me prodigue l’encens à pleines mains. Il aurait infiniment mieux trouvé sa place dans un prologue d’opéra, au siècle de Louis XIV.

Ce n’est point uniquement en faveur de la Henriade, seul poëme épique qu’aient les Français, que je me déclare, mais en faveur de tous vos ouvrages : ils sont généralement marqués au coin de l’immortalité.

C’est l’effet d’un génie universel et d’un esprit bien rare que de soutenir, dans une élévation égale, tant d’ouvrages de genres différents. Il n’y avait que vous, monsieur, permettez-moi de vous le dire, qui fussiez capable de réunir dans la même personne la profondeur d’un philosophe, les talents d’un historien, et l’imagination brillante d’un poëte. Vous me faites un plaisir infini et bien sensible en me promettant de m’envoyer tous vos ouvrages. Je ne les mérite que par le cas que j’en fais.

Les monarques peuvent donner des trésors, des royaumes mêmes, et tout ce qui peut flatter l’avarice, l’orgueil et la curiosité des hommes ; mais toutes ces choses restent hors d’eux, et, loin de les rendre plus éclairés[2] qu’ils ne le sont, elles ne servent ordinairement qu’il les corrompre. Le présent que vous me promettez, monsieur, est de tout un autre usage. On trouve dans sa lecture de quoi corriger ses mœurs et éclairer son esprit. Bien loin d’avoir la folle présomption de m’ériger en juge de vos ouvrages, je me contente de les admirer : le but que je me propose dans mes lectures est de m’instruire. Ainsi que les abeilles, je tire le miel des fleurs, et je laisse les araignées convertir les fleurs en venin.

Ce n’est point par ma faible voix que votre renommée, déjà si bien établie, peut s’accroître ; mais du moins sera-t-on obligé d’avouer que les des-

  1. Jean Deschamps, ne en 1708. et mort en 1767, publia sa traduction de la Logique de Wolff, à Berlin, en 1730. (Cl.)
  2. Et plus vertueux. ( Variante des Œuvres posthumes.)