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cupe nuit et jour ; je fais tout ce que je peux pour la rendre supportable. Je l’aurais voulue merveilleuse, et je crains, avec raison, qu’elle ne soit que bizarre. Le sujet en est beau, mais c’est un fardeau de pierreries et d’or que mes faibles mains n’ont pu porter, et qui tombe à terre en morceaux.

Envoyez-moi, je vous prie, les vers de l’aimable Bernard[1], et même le discours satirique de l’abbé Desfontaines à l’Académie. Il faut que j’aie le fiel et le miel du Parnasse.

Continuez-moi votre correspondance ; J’en sens le prix comme celui de votre amitié.


544. — Á M. THIERIOT.
À Cirey, le 13 janvier.

Vous croirez peut-être, mon cher ami, que je vais me répandre en plaintes et en reproches sur le dernier orage que je viens d’essuyer ;

Que je vais accuser et les vents et les eaux,
Et mon pays ingrat, et le garde des sceaux.[2].

Non, mon ami ; cette nouvelle attaque de la fortune n’a servi qu’à me faire sentir encore mieux, s’il est possible, le prix de mon bonheur. Jamais je n’ai plus éprouvé l’amitié vertueuse d’Èmilie ni la vôtre ; jamais je n’ai été plus heureux ; il ne me manque que de vous voir. Mais c’est à vous à tromper l’absence par des lettres fréquentes, où nos âmes se parlent l’une à l’autre en liberté. J’aime à vous mettre tout mon cœur sur le papier, comme je vous l’ouvrais autrefois dans nos conversations.

Je vais donc me donner le plaisir de répondre, article par article, à votre charmante lettre du 6 janvier. Je commence par la respectable Émilie, {{lang|la|a se principium sibi desinet. Elle a été touchée sensiblement de ce que vous lui avez écrit ; elle pense comme moi, que vous êtes un ami rare, aussi bien qu’un homme d’un goût exquis, et un amateur éclairé de tous les beaux-arts.

  1. Description du Hameau, commençant par ces mots :

    Rien n’est si beau
    Que ce hameau.

    (Note de 1763.)
  2. C’est peut-être une imitation de ces vers du Légataire, acte III, scène x :
    Et vous aurez pour vous, malgré les envieux,
    Et Lisette, et Crispin, et l’enfer, et les dieux.