Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/196

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Voilà sans doute le pluss grand grief. Rien ne peut arriver de pis à un poëte qu’un vers estropié.

Le second grief est qu’on ait pu avoir la mauvaise foi, et, j’ose dire, la lâche cruauté de chercher à m’inquiéter pour quelque chose d’aussi simple, pour un badinage plein de naïveté et d´innocence. Cet acharnement à troubler le repos de ma vie, sur des prétextes aussi misérables, ne peut venir que d’un dessein formé de m’accabler et de me chasser de ma patrie. J’avais déjà quitté Paris pour être à l’abri de la fureur de mes ennemis. L’amitié la plus respectable a conduit dans la retraite des personnes qui connaissent le fond de mon cœur, et qui ont renoncé au monde pour vivre en paix avec un honnête homme dont les mœurs leur ont paru dignes peut-être de tout autre prix que d’une persécution. S’il faut que je m’arrache encore à cette solitude, et que j’aille dans les pays étrangers, il m’en coûtera sans doute, mais il faudra bien s’y résoudre ; et les mêmes personnes qui daignent s’attacher à moi aiment beaucoup mieux me voir libre ailleurs que menacé ici.

Monsieur le prince royal de Prusse m’a écrit depuis longtemps, en des termes qui me font rougir, pour m’engager à venir à sa cour. On m’a offert une place auprès de l’héritier[1] d’une vaste monarchie, avec dix mille livres d’appointements ; on m’a offert des choses très-flatteuses en Angleterre. Vous devinez aisément que je n’ai été tenté de rien, et que si je suis obligé de quitter la France, ce ne sera pas pour aller servir des princes.

Je voudrais seulement savoir, une bonne fois pour toutes, quelle est l’intention du ministère, et si, parmi mes ennemis, il n’y en a point d’assez cruels pour avoir juré de me persécuter sans relâche. Ces ennemis, au reste, je ne les connais pas ; je n’ai jamais offensé personne ; ils m’accablent gratuitement.

Ploravere suis non respondere favorem
Speratum meritis.

(Hor., liv. II, ép. i, v. 9.)

Je demande uniquement d’être au fait, de bien savoir ce qu’on veut, de n’être pas toujours dans la crainte, de pouvoir enfin prendre un parti. Vous êtes à portée, et par vous-même et par vos amis, de savoir précisément les intentions. M. le bailli de Froulai, M. de Bissy, peuvent s´unir avec vous. Je vous devrai tout, si je vous dois au moins la connaissance de ce qu’on veut.

  1. Vovez tome XXXIII. la lettee. 539.