Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/201

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vous trouve l’esprit de Bayle et le style de Montaigne. Votre livre doit avoir un très-grand succès, et les écrits de la superstition et de l’hypocrisie ne serviront qu’à votre gloire. Mon Dieu, que votre indepair m’a réjoui ! et que cela donne un bon ridicule à l´indéfini ! Mais qu’il y a de choses qui m’ont plu ! et que j’ai envie de vous voir pour vous le dire ! Vous devez mener une vie très-heureuse ; vous vivez avec les belles-lettres, la philosophie ; tous les arts. Je vous fais bien mes compliments surtout cela.

Qu’il me soit permis de profiter de votre exemple, et d’être un peu philosophe à mon tour. Je vous envoie une Épître[1] à Mme la marquise du Châtelet, épître qui est, ce me semble, dans un autre goût que celles de Rousseau. N’est-ce pas un peu rappeler l’art des vers à son origine que de faire parler à Apollon le langage de la philosophie ? Je voudrais bien n’avoir consacré mon temps qu’à des choses aussi dignes de la curiosité des hommes raisonnables. Je suis surtout très-affligé d’être obligé quelquefois de perdre des heures précieuses à repousser les indignes attaques de Rousseau et de Desfontaines. La jalousie a fait le premier mon ennemi, l’autre ne l’est devenu que par excès d’ingratitude. Ce qui me console et me justifie, c’est que mes ennemis sont les vôtres.


701. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Ce dimanche[2], à quatre heures du matin, décembre.

Votre amie[3] a été d’abord bien étonnée quand elle a appris qu’un ouvrage aussi innocent que le Mondain avait servi de prétexte à quelques-uns de mes ennemis ; mais son étonnement s’est tourné dans la plus grande confusion et dans l’horreur la plus vive, à la nouvelle qu’on voulait me persécuter sur ce misérable prétexte. Sa juste douleur l’a emporté sur la résolution de passer avec moi sa vie. Elle n’a pu souffrir que je restasse plus longtemps dans un pays où je suis traité si inhumainement. Nous venons de partir de Cirey ; nous sommes, à quatre heures du matin, à Vassy, où je dois prendre des chevaux de poste. Mais, mon véritable, mon tendre et respectable ami, quand je vois arriver le moment où il faut se séparer pour jamais de

  1. Voyez une note de la lettre 637.
  2. Sans doute le 23 décembre.
  3. Mme la marquise du Chàtelet, (K.)