Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Adieux aux révérends Pères ; mais je suis fort aise qu’il[1] les ait quittés. Un poëte de plus et un jésuite de moins, c’est un grand bien dans le monde.

Vale, te amo, te semper amabo. V.


547. — Á M. DE FORMONT[2].
… janvier 1736.

Il est vrai que si l’on peut prouver qu’il y a une incompatibilité, une contradiction formelle entre la matière et la pensée, toutes les probabilités en faveur de la matière pensante sont détruites.

Il est donc vrai que le fort de la dispute, comme vous le dites très-bien, roule sur cette question : « La matière pensante est-elle une contradiction ? »

1° J’observerai qu’il ne s’agit pas de savoir si la matière pense par elle-même : elle ne fait rien, elle ne peut avoir le mouvement ni l’existence par elle-même (du moins cela me paraît démontré) ; il s’agit uniquement de savoir si le Créateur, qui lui a donné le mouvement, le pouvoir incompréhensible de le communiquer, peut aussi lui communiquer, lui unir la pensée.

Or s’il était vrai qu’on prouvât que Dieu n’a pu communiquer, n’a pu unir la pensée à la matière, il me paraît qu’on prouverait aussi par là que Dieu n’a pu lui unir un être pensant : car je dirai contre l’être pensant uni à la matière tout ce qu’on dira contre la pensée unie à la matière.

On ne connaît rien dans les corps, dira-t-on, qui ressemble à une pensée. Cela est vrai ; mais je réponds : Une pensée est l’action d’un être pensant : donc il n’y a rien, selon vous, dans la matière, qui ait la moindre analogie à un être pensant ; donc, selon vous-même, vous prouveriez qu’un être immatériel ne peut être en rien affecté par la matière ; donc, selon vous-même, l’homme ne penserait point, ne sentirait point ; donc, en prétendant prouver l’impossibilité où est la matière de penser, vous prouveriez qu’en effet nous ne pouvons penser, ce qui serait absurde. En un mot, si la pensée ne peut être dans la matière, je

  1. Gresset, qui, après avoir publié la Chartreuse, vers la fin de 1735, venait de faire paraître les Adieux aux jésuites.
  2. Cette lettre à Formont doit avoir suivi de très-près, et peut-être même précédé celle à Cideville, du 19 janvier. Formont avait, le 6 janvier, écrit à Voltaire sur la matérialité de l’âme. Dès le 13, Voltaire avait écrit sur cet objet quelques mots en réponse à Formont. (B.) — Voyez la lettre 545.