Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/235

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désapprouve ma témérité dans le temps que je tombe dans la même faute. Despréaux dit que :

Un àne, pour le moins, instruit par la nature,
A l’instinct qui le guide obéit sans murmure ;
Ne va point follement, de sa bizarre voix,
Défier aux chansons les oiseaux dans les bois.

(Sat. VIII, v. 247.)

Je vous prie, monsieur, de vouloir bien être mon maître en poésie, comme vous le pouvez être en tout. Vous ne trouverez jamais de disciple plus docile et plus souple que je le serai. Bien loin de m’offenser de vos corrections, je les prendrai comme les marques les plus certaines de l’amitié que vous avez pour moi.

Un entier loisir m’a donné le temps de m’occuper à la science qui me plaît. Je tâche de profiter de cette oisiveté, et de la rendre utile, en m’appliquant à l’étude de la philosophie, de l´histoire, et en m’amusant avec la poésie et la musique. Je vis à présent comme un homme, et je trouve cette vie infiniment préférable à la majestueuse gravité et à la tyrannique contrainte des cours. Je n’aime pas un genre de vie mesurée à la toise ; il n’y a que la liberté qui ait des appas pour moi.

Des personnes peut-être prévenues vous ont fait un portrait trop avantageux de moi ; leur amitié m’a tenu lieu de mérite. Souvenez-vous, monsieur, je vous prie, de la description que vous faites de la Renommée,

Dont la bouche, indiscrète en sa légèreté,
Prodigue le mensonge avec la vérité.

(Henriade. ch. I, v. 367.)

Quand des personnes d’un certain rang remiplissent la moitié d’une carrière, on leur adjuge le prix, que les autres ne reçoivent qu’après l’avoir achevée. D’où peut venir une si étrange différence ? ou bien nous sommes moins capables que d’autres de faire bien ce que nous faisons, ou de vils adulateurs relèvent et font valoir nos moindres actions.

Le feu roi de Pologne, Auguste[1] calculait de grands nombres avec assez de facilité ; tout le monde s’empressait à vanter sa haute science dans les mathématiques ; il ignorait jusqu’aux éléments de l’algèbre.

Dispensez-moi, je vous prie, de vous citer plusieurs autres exemples que je pourrais vous alléguer.

Il n’y a eu, de nos jours, de grand prince véritablement instruit que le czar Pierre Ier. Il était non-seulement législateur de son pays, mais il possédait parfaitement l’art de la marine. Il était architecte, anatomiste, chirurgien (quelquefois dangereux), soldat expert, économe consommé ; enfin, pour en faire le modèle de tous les princes, il aurait fallu qu’il eût eu une éducation moins barbare et moins féroce que celle qu´il avait reçue dans un pays où l’autorité absolue n’était connue que par la cruauté.

  1. Auguste II (Frédéric), appelé autrement Frédéric-Auguste Ier.