Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/348

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votre vilaine charge de conseiller au parlement, qui vous prend un temps que vous devez aux charmes de la société ; quittez ce triste fardeau qui fait qu’on se lève le matin. Il n’y a pas moyen que le plaisir dont votre bonheur me pénètre me permette de vous parler d’autre chose. Une autre fois je vous entretiendrai de Melpomène, de Thalie ; mais aujourd’hui la divinité à qui vous sacrifiez a tout mon encens.


786. — À M. THIERIOT.
À Cirey, le 3 novembre.

N’osant vous écrire par la poste[1], je me sers de cet homme qui part de Cirey, et qui se charge de ma lettre. Croiriez-vous bien que la plus lâche et la plus infâme calomnie qu’un prêtre puisse inventer a été cause de mon voyage en Hollande ? Vous avez été, avec plusieurs honnêtes gens, enveloppé vous-même dans cette calomnie absurde, dont vous ne vous doutez pas. Il ne m’est pas permis encore de vous dire ce que c’est. Je vous demande même en grâce, mon cher ami, au nom de la tendre amitié qui nous unit depuis plus de vingt ans, et qui ne finira qu’avec ma vie, de ne paraître pas seulement soupçonner que vous sachiez qu’il y a eu une calomnie sur notre compte. Ne dites point surtout que vous ayez reçu de lettre de moi : cela est de très-grande conséquence. Il vous paraîtra sans doute surprenant qu’il y ait une pareille inquisition secrète ; mais enfin elle existe, et il faut que les honnêtes gens, qui sont toujours les plus faibles, cèdent aux plus forts. J’avais voulu vous écrire par M. l’abbé du Resnel, qui est venu passer un mois à Cirey, et je ne me suis privé de cette consolation que parce qu’il ne devait retourner à Paris qu’après la Saint-Martin. Mon cher Thieriot, quand vous saurez de quoi il a été question, vous rirez, et vous serez indigné à l’excès de la méchanceté et du ridicule des hommes. J’ai bien fait de ne vivre que dans la cour d’Émilie, et vous faites très-bien de ne vivre que dans celle de Pollion.

Je lus, il y a un mois, le petit extrait que Mlle Deshayes[2] avait fait de l’ouvrage de l’Euclide-Orphée, et je dis à Mme du Châtelet : Je suis sûr qu’avant qu’il soit peu Pollion épousera cette muse-là. Il y avait dans ces trois ou quatre pages une sorte de mérite peu

  1. On violait le secret des lettres, selon une infâme pratique encouragée même par Louis XV. (Cl.)
  2. Voyez une note sur la lettre 628.