Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/374

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démentit ce bruit abominable dans les gazettes. Je ne m’occupai, dans mon séjour en Hollande, qu’à voir les expérience de la physique newtonienne que fait M. S"’Gavesande, qu’à étudier et qu’à mettre en ordre les Éléments de cette physique, commencés à Cirey. Je n’ai opposé à la rage de mes ennemis qu’une vie obscure, retirée, des études sérieuses auxquelles ils n’entendent rien. Bientôt l’amitié me fit revenir en France. Je retrouvai à Cirey Mme du Châtelet et toute sa famille. Ils connaissent mon cœur ; ils ne se sont jamais démentis un moment pour moi. J’y ai trouvé le repos et la douceur de la vie, que mes ennemis voudraient m’arracher. Pour montrer une docilité sans réserve à ceux dont je peux dépendre, j’ai, par le conseil de M. d’Argental, envoyé, il y a plus de six mois, mes Éléments de Newton à la censure à Paris. Ils y sont restés ; on ne me les rend point. J’en ai suspendu la publication en Hollande. Je la suspends encore. Les libraires (qui se sont trouvés par hasard d’honnêtes gens) ont bien voulu différer par amitié pour moi. J’attendais quelque décision en France de la part de ceux qui sont à la tête de la littérature. Je n’en ai aucune. Voilà quant à la philosophie : car je veux vous rendre un compte exact.

Quant aux autres ouvrages, j’ai donc fait Mérope, dont vous jugerez incessamment. J’ai corrigé toutes mes tragédies, entre autres les trois premiers actes d’Œdipe. J’ai retouché beaucoup jusqu’aux petites pièces détachées[1] que vous avez entre les mains. J’ai poussé l’histoire de Louis XIV jusqu’à la bataille de Turin[2]. Je m’amuse d’ailleurs à me faire un cabinet de physique assez complet. Mme du Châtelet est dans tout cela mon guide et mon oracle. On a imprimé l’Enfant prodigue, mais je ne l’ai point encore vu.

Comme je suis en train de vous rendre compte de tout, il faut vous dire que ce Demoulin, qui voulait faire imprimer vos lettres, est celui qui me suscita l’infâme procès de Jore. Il m’avait dissipé vingt mille francs que je lui avais confiés ; et, pour m’empêcher de lui faire rendre compte, il m’embarrassa dans ce procès. Il vient aujourd’hui de me demander pardon, et de me tout avouer. Ô hommes ! ô monstres ! qu’il y a peu de Cidevilles !

Coutinuons ; vous aurez tout le détail de mes peines. Une des plus grandes a été d’avoir donné à Mme du Châtelet les Linant, Vous savez quel prix elle a reçu de ses bontés. Je crois la sœur

  1. Voltaire les envoya à Cideville avec la lettre 461.
  2. En 1706. Voyez, tome XIV, le chapitre xx du Siècle de Louis XIV.