Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/413

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tère un esprit plus noble que mécontent. Vous devez en être plus estimé, et il vient un temps où l’estime arrache les récompenses[1].

J’avais osé, dans les intervalles que me laissent mes maladies, écrire le peu que j’entendais de Newton, que mes chers compatriotes n’entendent point du tout. J’ai suspendu cette édition qui se faisait à Amsterdam, pour avoir l’attache du ministère de France ; j’avais remis une partie de l’imprimé et le reste du manuscrit à. M. Pitot, qui se chargeait de solliciter le privilège. Le livre est approuvé depuis huit mois ; mais monsieur le chancelier[2] ne me le rend point. Apparemment que de dire que l’attraction est possible et prouvée, que la terre doit être aplatie aux pôles, que le vide est démontré, que les tourbillons sont absurdes, etc., cela n’est pas permis à un pauvre Français. J’ai parlé de vous et de votre livre, dans mes petits Éléments, avec le respect que j’ai pour votre génie. Peut-être m’a-t-on rendu service en supprimant ces Éléments ; vous n’auriez eu que le chagrin de voir votre éloge dans un mauvais ouvrage. M. Pitot m’avait pourtant flatté que ce petit catéchisme de la foi newtonienne était assez orthodoxe. Je vous prie de lui en parler. Il y a six mois que j’ai quitté toute sorte de philosophie. Je suis retombé dans mon ignorance et dans les vers ; j’ai fait une tragédie[3], mais je n’attends que des sifflets. J’ai une fois fait un poëme épique ; il y en a plus de vingt éditions dans l’Europe : toute ma récompense a été d’être joué en personne[4], moi, mes amis, et ma Henriade, aux Italiens et à la Foire, avec approbation et privilège.

Qui bene latuit bene vixit[5]. Je n’ai plus assez de santé pour travailler à rien, ni pour vous étudier ; mais je vous admirerai et vous aimerai toute ma vie, vous et le grand petit Clairaut.

  1. Maupertuis avait été blessé de la modicité de la récompense ; il voulait qu’où le regardât comme le chef de l’entreprise, et ses confrères comme des élèves qui avaient travaillé sous lui. Ces confrères étaient cependant Clairaut, Camus. Lemonnier. (K.)
  2. D’Aguesseau.
  3. Mérope.
  4. Dans la scène xi du Temple de Mémoire, pièce de Le Sage, jouée à la foire Saint-Laurent en 1725. M. Pronevers n’est autre que Thieriot ; et il y a une épigramme contre la Henriade ; dans le vaudeville final il y en a une contre l’Œdipe de Voltaire. Dans le Temple du Goust, comédie de Nivault et Romagnési, jouée aux Italiens en 1733, Voltaire était représenté par le Faux Goust. Falkener aussi parait avoir été mis sur la scène, et l’auteur de la pièce où figurait cet Anglais est de Launai, s’il faut en croire une lettre de Voltaire à Thieriot (voyez lettre 556).
  5. Ovide, Tristes, III, élégie iv, v. 25.