Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/426

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ni le franc arbitre ni la fatalité absolue ne disculpent pas la Divinité de sa parlici|iation au crime : car que Dieu nous donne la liberté de malfaire, ou qu’il nous pousse immédiatement au crime, cela revient à peu près au même ; il n’y a que du plus ou du moins. Remontez à l’origine du mal, vous ne pourrez que l’attribuer à Dieu, à moins que vous ne vouliez embrasser l’opinion des manichéens touchant les deux principes : ce qui ne laisse pas d’être hérissé de difficultés. Puis donc que, selon nos systèmes, Dieu est également le père des crimes et des vertus, jusque MM. Clarke, Locke, et Newton, ne me présentent rien qui concilie la sainteté de Dieu avec le fauteur des crimes, je me vois obligé de conserver mon système ; il est plus lié, plus suivi. Après tout, je trouve une espèce de consolation dans cette falalité absolue, dans cette nécessité qui dirige tout, qui conduit nos actions, et qui fixe les destinées.

Vous me direz que c’est une petite consolation que celle que l’on tire des considérations de notre misère et de l’immutabilité de notre sort : j’en conviens ; mais il faut bien s’en contenter, faute de mieux. Ce sont de ces remèdes qui assoupissent les douleurs, et qui laissent à la nature le temps de faire le reste.

Après vous avoir fait un exposé de mes opinions j’en reviens, comme vous, à l’insuffisance de nos lumières. Il me paraît que les hommes ne sont pas faits pour raisonner profondément sur les matières abstraites. Dieu les a instruits autant qu’il est nécessaire pour se gouverner dans ce monde, mais non pas autant qu’il faudrait pour contenter leur curiosité. C’est que l’homme est fait pour agir, et non pas pour contempler.

Prenez-moi, monsieur, pour tout ce qu’il vous plaira, pourvu que vous vouliez croire que votre personne est l’argument le plus fort qu’on puisse présenter en faveur de notre être. J’ai une idée plus avantageuse des hommes en vous considérant ; et d’autant plus suis-je persuadé qu’il n’y a qu’un Dieu, ou quelque chose de divin, qui puisse rassembler dans une même personne toutes les perfections que vous possédez. Ce ne sont pas des idées indépendantes qui vous gouvernent ; vous agissez selon un principe, selon la plus sublime raison : dont vous agissez selon une nécessité. Ce système, bien loin d’être contraire à l’humanité et aux vertus, y est même très-favorable, puisque, trouvant notre bonheur, notre intérêt, et notre satisfaction dans l’exercice de la vertu, ce nous est une nécessité de nous porter toujours envers ce qui est vertueux ; et, comme je ne saurais n’être pas reconnaissant sans me rendre insupportable à moi-même, mon bonheur, mon repos, l’idée de mon bien-être, m’obligent à la reconnaissance.

J’avoue que les hommes ne suivent pas toujours la vertu, et cela vient de ce qu’ils ne se font pas tous la même idée du bonheur ; que les causes étrangères et les passions leur donnent lieu de se conduire d’une façon différente, et selon ce qu’ils croient de leur intérêt. Le tumulte de leurs passions fait surseoir, dans ces moments, les mûres délibérations de l’esprit et de la raison.

Vous voyez, monsieur, par ce que je viens de vous dire, que mes opinions métaphysiques ne renversent aucunement les principes de la saine