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567. — Á M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Cirey, le 20 février.

Ma destinée sera donc toujours d’avoir des remerciements à vous faire, des pardons à vous demander, et de nouvelles importunités à vous faire essuyer ! Je sais quelle est votre bonté et votre indulgence, et qu’on prend toujours bien son temps avec vous ; mais quelles circonstances que celles où vous êtes, pour que vous soyez tous les jours fatigué de querelles et de dénonciations des libraires, et que j’y ajoute encore de nouveaux contre-temps au sujet de ces pauvres Américains ! Mais enfin, quand on a débauché une fille, on est obligé de nourrir l’enfant, et d’entrer dans les détails du ménage. C’est vous qui avez débauché Alzire ; pardonnez-moi donc toutes mes importunités.

J’ai reçu enfin la copie de la pièce, telle qu’elle est jouée. Nous avons examiné la chose avec attention, Mme du Châtelet et moi, et nous avons été également frappés de la nécessité de restituer bien des choses à peu près comme elles étaient ; par exemple, nous avons lu, au quatrième acte :

alzire.

Compte, après cet effort, sur un juste retour,

gusman.

En est-il donc, hélas ! qui tienne lieu d’amour ?


Bon Dieu ! que dirait Despréaux s’il voyait Alzire prononcer un vers aussi dur, et Gusman répondre en doucereux ? Au nom du bon goût, laissez les choses dans leur premier état. Quelle différence ! Ne la sentez-vous pas ?

J’insiste encore sur le cinquième acte ; il est si écourté, si rapide, qu’il ne nous a fait aucun effet. On craint les longueurs au théâtre, mais c’est dans les endroits inutiles et froids. Voyez que de vers débite Mithridate en mourant : sont-ils aussi nécessaires que ceux de Gusman ? Quel outrage à toutes les règles que Montèze ne paraisse pas avec Gusman, et n’embrasse pas ses genoux ! Je l’avais fait dire aux comédiens, mais inutilement :

    vos travaux ? Buvez-vous beaucoup de ce bon vin de Chypre ? Quant à moi, je suis ici trop heureux, quoique ma santé soit toujours très-faible :

    Excepto quod non simul esses, eætera lætus.


    Adieu, adieu, mon cher ambassadeur ; adieu, je baise bien humblement les mains à Votre Seigneurie. Je l’aime et la révère. (A. F.)