Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/508

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Cette physique expérimentale me fait trembler. Je crains le vif-argent[1], et tout ce que ces expériences entraînent après elles de nuisible à la santé. Je ne saurais me persuader que vous ayez la moindre amitié pour moi, si vous ne voulez vous ménager. En vérité, madame la marquise devrai y avoir l’œil. Si j’étais à sa place, je vous donnerais des occupations si agréables qu’elles vous feraient oublier toutes vos expériences.

Vous supportez vos douleurs en véritable philosophe. Pourvu qu’on voulût ne point omettre le bien dans le compte des maux que nous avons à souffrir, nous trouverions que nous ne sommes point si malheureux. Une grande partie de nos maux ne consiste que dans la trop grande fertilité de notre imagination mêlée avec un peu de rate.

Je suis si bien au bout de ma métaphysique qu’il me serait impossible d’en dire davantage. Chacun fait des efforts pour deviner les ressorts cachés de la nature ; ne se pourrait-il pas que les philosophes se trompassent tous ? Je connais autant de systèmes qu’il y a de philosophes. Tous ces systèmes ont un degré de probabilité ; cependant ils se contredisent tous. Les Malabares ont calculé les révolutions des globes célestes sur le principe que le soleil tournait autour d’une haute montagne de leur pays, et ils ont calculé juste.

Après cela, qu’on nous vante les prodigieux efforts de la raison humaine, et la profondeur de nos vastes connaissances ! Nous ne savons réellement que peu de choses, mais notre esprit a l’orgueil de vouloir tout embrasser.

La métaphysique me parut autrefois comme un pays propre à faire de grandes découvertes ; à présent, elle ne me présente qu’une mer immense et fameuse en naufrages.

Jeune, j’aimais Ovide ; à présent, c’est Horace.

La métaphysique ressemble à un charlatan ; elle promet beaucoup, et l’expérience seule nous fait connaître qu’elle ne tient rien. Après avoir bien étudié les sciences et observé l’esprit des hommes, on devient naturellement enclin au scepticisme.

Vouloir beaucoup connaître est apprendre à douter[2].

La Philosophie de Newton, à ce que je vois, m’est parvenue plus tôt qu’à son auteur[3]. On vous a donc refusé la permission de l’imprimer à Paris ? Il parait que je tiens ce livre de la libéralité du libraire de Hollande.

  1. Dans les éditions de Berlin et de Londres des Œuvres posthumes de Frédéric, on lit : « Je crains le vif-argent, je crains le laboratoire et tout ce que, etc. »
  2. Dans les Réflexions diverses de Mme Deshouliéres, on lit
    Vous ne prouvez que trop que chercher à connaître
    N’est souvent qu’apprendre à douter.
  3. Dans les éditions de Berlin et de Londres des Œuvres posthumes de Frédéric, ily a : « …qu’à son auteur. Le titre m’en a paru assez singulier, et il paraît bien que ce livre le tient de la libéralité du libraire. Un habile algébriste, etc. » Voyez, sur le titre assez singulier, tome XXII, page 397.