Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/518

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Je suis, après tout, le premier en France qui ; ait débrouillé ces matières, et j’ose dire le premier en Europe, car S’Gravesande n’a parlé qu’aux mathématiciens, et Pemberton a obscurci souvent Newton. Je ne suis point étonné qu’on s’entretienne à Paris plus volontiers de médisance, de calomnie, de vers satiriques, que d’un ouvrage utile : cela doit être ainsi ; ce sont les bouteilles de savon du peuple d’enfants malins qui habitent votre grande ville.

Bernard aurait grand tort de prendre votre louis d’or, et de ne pas vous en donner un. Aucune des épîtres[1] en question n’est de moi, et si quelque libraire les a mises sous mon nom pour les accréditer, ce libraire est un scélérat. Il est impossible que M. d’Argenson[2], plein de probité et de bonté, et qui m’a toujours honoré d’une bienveillance pleine de tendresse, ait cru une telle calomnie : il est impossible qu’il ait fait usage contre moi d’une lettre supposée, puisque assurément il n’en eût pas fait d’usage si elle eût été vraie. Je compte trop sur ses bontés. Je lui suis trop tendrement attaché depuis mon enfance. Je vous demande en grâce de lui montrer cette lettre, et de réchauffer dans son cœur des bontés qui me sont si chères.

Vous devez connaître les fureurs jalouses et les artifices infâmes des gens des lettres. Je sais surtout de quoi ils sont capables, depuis que l’auteur clandestin de l’épître diffuse[3] et richement rimée contre Rousseau eut la bassesse de répandre qu’elle venait de l’hôtel Richelieu. J’en connais très-certainement l’auteur. Cet auteur est un homme laborieux, exact, et sans génie : je n’en dis pas davantage. Si un scélérat comme l’abbé Desfontaines a engagé M. Racine dans sa querelle ; si de Launai, qui vous hait parce que vous lui avez reproché une mauvaise action ; si un nommé Guyot de Merville[4], qui ne cesse de m’outrager parce qu’il a eu la même maîtresse que moi[5] il y a vingt ans ; si Roi, Lélio[6], enfin des fripons, séduisent d’honnêtes gens ; s’il en résulte des sottises rimées et de petites scélératesses d’auteur, j’oublie tout cela dans le sein de l’amitié.

  1. L’édition des trois premiers Discours sur l’Homme, sous le titre de : Épîtres sur le Bonheur, faite à Paris chez Prault, ne porte pas le nom de l’auteur. Mais l’édition de Ledet est intitulée Êpîtres sur le Bonheur, la Liberté, et l’Envie par M. de Voltaire, 1738, in-8o de 28 pages. (B.)
  2. Le marquis d’Argenson.
  3. Il désigne ici La Chaussée.
  4. Voyez, dans l’année 1755, sa lettre à Voltaire du 15 avril.
  5. Olympe Dunoyer.
  6. Riccoboni.