Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/532

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sieur, que vous rendrez un nouveau service à la littérature en recommandant une exactitude si nécessaire et si négligée.

Je conseillerais en général à tous les éditeurs d’ouvrages instructifs de faire des cartons au lieu d’errata. car j’ai remarqué que peu de lecteurs vont consulter l’errata, et alors, ou ils reçoivent des erreurs pour des vérités, ou bien ils font des critiques précipitées ou injustes.

En voici un exemple récent, et qui doit être public, afin que dorénavant les lecteurs qui veulent s’instruire et les critiques qui veulent nuire, soient d’autant plus sur leurs gardes.

Il vient de paraître une petite brochure sans nom d’auteur ni d’imprimeur, dans laquelle il paraît qu’on en veut beaucoup plus encore à ma personne qu’à la Philosophie de Newton. Elle est intitulée Lettre d’un physicien sur la Philosophie de Newton, mise à la portée de tout le monde[1].

L’auteur, qui probablement est mon ennemi sans me connaître, ce qui n’est que trop commun dans la république des lettres, s’explique ainsi sur mon compte, page 13 : « Il serait inutile de faire des réflexions sur une méprise aussi considérable ; tout le monde les aperçoit, et elles seraient trop humiliantes pour M. de Voltaire. »

Il sera curieux de voir ce que c’est que cette méprise considérable qui entraîne des réflexions si humiliantes. Voici ce que j’ai dit dans mon livre : « Il se forme dans l’œil un angle une fois plus grand, quand je vois un homme à deux pieds de moi, que quand je le vois à quatre pieds ; cependant je vois toujours cet homme de la même grandeur. Comment mon sentiment contredit-il ainsi le mécanisme de mes organes ? »

Soit inattention de copiste, soit erreur de chiffres, soit inadvertance d’imprimeur, il se trouve que l’éditeur d’Amsterdam a mis deux où il fallait quatre, et quatre où il fallait deux. Le réviseur hollandais, qui a vu la faute, n’a pas manqué de la corriger dans l’errata à la fin du livre. Le censeur ne se donne pas la peine de consulter cet errata. Il ne me rend pas la justice de croire que je puis au moins savoir les premiers principes de l’optique ; il aime mieux abuser d’une petite faute d’impression aisée à corriger, et se donner le triste plaisir de dire des injures. La fureur de vouloir outrager un homme à qui l’on n’a rien à reprocher que la peine extrême qu’il a prise pour être utile est donc une maladie bien incurable ?

  1. Par le Père Regnault, jésuite : voyez lettre 760.