Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/557

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sera un homme de l’Austrasie qui sera votre prince[1], les eût bien étonnés.

On croit dans l’Europe que le système de Lass en France avait fait couler dans les coffres du Régent tout l’argent du royaume ; et je vois que cette opinion a passé jusqu’à Votre Altesse royale. Assurément elle est bien vraisemblable ; mais le fait est que Lass, qui était venu en France avec cinquante mille livres de bien, est mort ruiné, et que feu M. le duc d’Orléans est mort avec sept millions de dettes exigibles, que son fils a eu bien de la peine à payer.

Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

(L’Art poét., ch. III, v. 48.)

Ce n’est pas que je croie que le génie plaisant, qui bouleverse tout dans ce monde, et qui se moque de nous, fasse toute la besogne. Les puissances qui, par la suite des temps, par la guerre, par les mariages, etc., sont devenues plus fortes que leurs voisins, feront tout ce qu’il faudra pour les engloutir, comme le riche seigneur accable son pauvre voisin : et c’est là ce qu’on appelle grande politique ; c’est là ce que votre âme adorable appelle grande injustice, grande horreur. Votre politique consiste à empêcher l’oppression. Tous les princes devraient avoir gravés sur la table de leur conseil et sur la lame de leurs épées ces mots par lesquels Votre Altesse royale finit : C’est un opprobre de perdre ses États, c’est une rapacité punissable d’envahir[2] ceux sur lesquels on n’a point de droit. Ce sont là les paroles d’un grand homme, et le gage de la félicité de tout un peuple.

Il faut que Votre Altesse royale pardonne une idée qui m’a passé par la tête plus d’une fois. Quand j’ai vu la maison d’Autriche prête à s’éteindre, j’ai dit en moi-même : Pourquoi les princes de la communion opposée à Rome n’auraient-ils pas leur tour ? Ne pourrait-il se trouver parmi eux un prince assez puissant pour se faire élire ? la Suède et le Danemark ne pourraient-ils pas l’aider ? et, si ce prince avait de la vertu et de l’argent, n’y aurait-il pas à parier pour lui ? ne pourrait-on pas rendre l’empire alternatif, comme certains évêchés qui appartiennent

  1. François-Etienne de Lorraine, devenu grand-duc de Toscane le 9 juillet 1737.
  2. Les Considérations sur le corps politique de l’Europe (voyez la lettre 851), se terminent par ces mots : « C’est un opprobre et une ignominie de perdre ses États ; et c’est une injustice et une rapacité criminelles de conquérir ceux sur lesquels on n’a aucun droit légitime. » Mais, devenu roi, Frédéric oublia ce qu’il avait écrit : voyez la note, tome XXIII, page 147.