Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/90

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expédient. Ma simplicité lui fit pitié. Elle m’attira même une riche profusion d’épithètes, malgré lesquelles je persistai dans mon refus.

J’ai dit que j’avais remis au sieur de Voltaire deux exemplaires pour revoir les endroits qui avaient besoin d’être retouchés. Quel est l’usage qu’il en fit ? C’est ce qu’il faut voir dans une lettre qu’il m’a écrite, et qui est imprimée à la suite de ce mémoire. Il en confia l’un, dit-il, pour le faire relier. À qui ? a un libraire qui le fit copier à la hâte et imprimer.

Voltaire eut-il quelque part à cette édition ? Ouand il pourrait s’en défendre, quand il n’irait pas plus loin que l’aveu qu’il fait dans sa lettre, quels reproches n’aurais-je pas à lui faire sur son infidélité et sur l’abus qu’il a fait de ma confiance ? Mais n’ai-je à lui reprocher que cette infidélité ? Est-il vraisemblable que pour relier un livre Voltaire se soit adressé non à son relieur, mais à un libraire ; qu’il ait livré un ouvrage qui pouvait causer ma ruine, qu’il devait regarder comme un dépôt sacré, et dont il craignait la contrefaçon[1] ; qu’il l’ait livré à un libraire, et à un libraire non-seulement qui par sa profession même lui devenait suspect, mais qu’il connaissait si mal ? D’ailleurs, par qui ce libraire a-t-il pu être informé que l’exemplaire qui lui était remis par le sieur de Voltaire sortait de mon imprimerie ? Qui a pu en instruire celui qui, avant que l’édition de ce libraire parût, vint me prier de lui fournir cent exemplaires du livre et m’en offrit cent louis d’or, que j’eus la constance de refuser ? À l’instigation de qui lescolporteurs chargés de débiter dans Paris l’édition de ce libraire annonçaient-ils au public que j’en étais l’auteur ? C’est un fait que j’ai éprouvé moi-même. À qui attribuer cette édition étrangère qui parut en 1734, précisément dans l’époque de mes malheurs ? édition que Voltaire a augmentée d’une vingt-sixième lettre dans laquelle il répond à des faits qui ne sont arrivés qu’en 1733, édition qui se vendait chez ledit imprimeur du sieur de Voltaire à Amsterdam, et qui a pour titre : Lettres, etc., par M. de Voltaire, à Rouen, chez Jore, MDCCXXXIV. Et pour tout dire, en un mot, qu’est-ce que cette lettre écrite contre moi au ministère ? Car enfin, c’est trop balancer sur la perfidie du sieur de Voltaire. L’édition du libraire de Paris se répand dans le public, je suis arrêté et conduit à la Bastille, et quel est l’auteur de ma détention ? Sur la dénonciation de qui suis-je arrêté ? Sur celle du sieur de Voltaire. Je suis surpris qu’on me montre une lettre de lui dans laquelle il m’accuse faussement d’avoir imprimé l’édition qui parait, dit-il, malgré son consentement.

Que peut répondre le sieur de Voltaire à tous ces faits, qui me confondent moi-même ? N’etait-il qu’infidèle ? Était-il seulement coupable d’avoir trahi le secret d’un homme qu’il avait séduit par l’assurance d’avoir une permission tacite, et d’avoir publié ce secret à qui avait voulu l’entendre ? Étais-je moi-même infidèle à ses yeux ? Le sieur de Voltaire crut-il effectivement que l’édition qui paraissait était la mienne ? Pouvait-il le penser lorsque j’avais refusé les mille écus qu’il m’avait fait offrir lui-même pour cette édition, et que j’avais déclare que je ne consentirais jamais à la laisser répandre

  1. Il y a coutrefaction dans le Voltariana.