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2616. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[1].

La dame Denis et le sieur de Voltaire, dans l’excès de leurs malheurs, se jettent encore aux pieds de Sa Majesté. Ils sont toujours arrêtés à Francfort, quoique Sa Majesté ait ordonné leur délivrance parla lettre écrite en son nom, de Potsdam le 30 mai[2], et qu’en conséquence le conseil de ville les ait déclarés libres. La dame Denis représente qu’elle a été traînée le 20 juin, sans aucun ordre, sans aucun prétexte, par le nommé Dorn, ci-devant notaire impérial, cassé par le magistrat, et ayant un asile dans la ville en servant le sieur de Freytag : que ledit Dorn enferma la dame Denis dans une chambre haute où il passa toute la nuit, seul avec elle, tandis qu’il avait mis quatre soldats à sa porte ; qu’on lui prit son argent, ses bijoux ; que, pendant ce temps, le sieur de Voltaire fut arrêté chez le sieur Schmith, qui prit lui-même dans ses poches audit sieur de Voltaire, quarante-six louis d’or, treize quadruples d’Espagne, douze carolins, six demi-carolins, quatre demi-louis, avec des bijoux, etc., sans en faire aucun procès-verbal et sans aucune formalité ; que le sieur Schmith, étant sommé de rendre cet argent le 6 juillet, a envoyé à l’auberge du Lion-d’Or le nommé Dorn par un nouvel outrage à la dame Denis ; que le nommé Dorn, voyant passer le sieur de Voltaire avec un pistolet qui n’était pas chargé[3], et où il n’y avait pas même de pierre, a pris ce prétexte pour s’enfuir avec l’argent.

Les suppliants informent seulement Sa Majesté de cette vexation nouvelle. Ils partent dans l’espérance que Sa Majesté daignera ordonner qu’on leur rende leurs effets, et permettre qu’ils s’adressent aux justices ordinaires, attendu que le sieur Schmith les persécute pour les frais de prison, leur retient leurs effets, leur argent, et les menace de les faire encore arrêter lundi prochain[4].

Dans cet abîme de malheurs, les suppliants, qui ne sont coupables en rien, et qui n’attendent que le moment d’aller déplorer

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Cette date est évidemment erronée, puisque Voltaire ne fut arrêté que le 1er juin.
  3. Colini raconte l’affaire différemment : « Voltaire, dit-il, se saisit d’un pistolet et se précipite vers Dorn : je n’eus que le temps de m’écrier et de l’arrêter. »
  4. L’incident du pistolet n’eut pas les suites que redoutait Voltaire. Le 7 juillet 1743, il put quitter Francfort, et il était à Mayence le lundi 9 juillet.