Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/129

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vous avez la santé ! je n’en ai point du tout, mais je porte partout un peu de stoïcisme. Croiriez-vous, madame, que cette destinée qui nous ballotte m’a fait presque Alsacien ? Je me suis trouvé, sans le savoir, possesseur d’un bien sur des terres[1] auprès de Colmar, et il se pourrait bien que j’y allasse. Je ne m’attendais pas à avoir une rente sur les vignes du duc de Wurtemberg ; mais la chose est ainsi. Je ferais certainement le voyage si je croyais pouvoir vous faire ma cour dans le voisinage où vous êtes ; mais si vous revenez dans votre solitude[2] auprès de Strasbourg, je ne ferai pas le voyage de Colmar. Je me meurs d’envie de vous revoir, madame ; il n’y aurait pas de plus grande consolation pour moi. Peut-être même le plaisir de vous entretenir de tout ce que nous avons vu, et de repasser sur nos premières années, pourrait adoucir les amertumes que votre sensibilité vous fait éprouver. Les matelots aiment, dans le port, à parler de leurs tempêtes. Mais y a-t-il un port dans ce monde ? On fait partout naufrage dans un ruisseau.

Si vous êtes en commerce de lettres avec M. des Alleurs, je vous prie, madame, de le faire souvenir de moi. Je lui crois à présent une vraie face à turban. Pour moi, je suis plus maigre que jamais ; je suis une ombre, mais une ombre très-sensible, très-touchée de tout ce qui vous regarde, et qui voudrait bien vous apparaître. Adieu, madame ; je vous souhaite un soir serein, sur la fin de ce jour orageux qu’on appelle la vie. Comptez que je vous suis dévoué avec le plus tendre respect.


2643. — À M. DUPONT[3]
avocat.
Strasbourg ; le 4 septembre.

Je vous aurais remercié plus tôt, monsieur, sans ma mauvaise santé, qui m’interdit tous les devoirs et tous les plaisirs. Je ne

  1. À Horbourg, sur la route de Neuf-Brisach.
  2. L’île Jard, sur le Rhin.
  3. Avocat au conseil souverain de Colmar, sa ville natale, où il est mort peu de temps avant la Révolution. Ce légiste, que Voltaire commença à connaître personnellement au commencement d’octobre 1753, était alors le meilleur avocat de Colmar, et les connaissances qu’il avait sur le droit public de l’empire, encore que Voltaire ne s’en soit pas particulièrement occupé dans ses Annales, furent d’un assez, grand secours pour l’auteur de cet ouvrage. L’avocat Dupont, que Voltaire appelle Dupont mon ami, dans sa lettre du 3 janvier 1755 à Hénault, était philosophe, et, au besoin, un peu versificateur. — Le recueil des lettres de Vol-