Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/135

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paru un ouvrage assez instructif. J’ai lu le comte Orsi[1], qui a justifié le Tassz contre le père Bouhours. Son livre est plus rempli, à ce qu’il m’a paru, d’érudition que de bon goùt. Gravina m’a paru écrire sur la tragédie comme Dacier, et il a fait en conséquence des tragédies comme Dacier, aidé de sa femme, les aurait faites. Cette espèce de littérature commença, je crois, du temps de Castelvetro ; ensuite vint Jules Scaliger, mais qui n’a écrit qu’en latin. Si vous croyez devoir faire entrer ces rocailles dans votre grand temple, il n’y a point à Paris d’aide à maçon qui n’en sache plus que moi, et qui ne vous serve mieux. D’ailleurs, ne suffit-il pas, dans un dictionnaire, de définir, d’expliquer, de donner quelques exemples ? Faut-il discuter les ouvrages de tous ceux qui ont écrit sur la matière dont on parle ?

À l’égard des Espagnols, je ne connais que Don Quichotte et Antonio de Solis[2]. Je ne sais pas assez l’espagnol pour avoir lu d’autres livres, pas même le Château de l’âme[3], de sainte Thérèse.

À propos d’âme, j’avais pris la liberté d’envoyer à une certaine personne un petit mot sur l’âme, non pas pour qu’on en fît usage, mais seulement pour montrer que je m’étais intéressé à l’Encyclopédie.

Il est bien douloureux que des philosophes soient obligés d’être théologiens. Ah ! tâchez, quand vous en serez au mot de Pensée, de dire au moins que les docteurs ne savent pas plus comment ils font des pensées qu’ils ne savent comment ils font des enfants ; ne manquez pas, au mot de Résurrection, de vous souvenir que saint François Xavier ressuscita onze personnes, de compte fait ; mais, à Clavecin[4], vous n’oublierez pas sans doute le clavecin oculaire.

Adieu, monsieur ; je crains d’abuser de votre temps ; vous devez être accablé de travail. Mille compliments à votre compagnon. Adieu, Atlas et Hercule, qui portez le monde sur vos épaules.

  1. J.-Jos. Orsi, mort en 1733.
  2. Antonio de Solis est l’auteur de l’Histoire de la conquête du Mexique.
  3. André Félibien, père du bénédictin, a donné, en 1670, une traduction française de cet ouvrage, qui est, en effet de sainte Thérèse.
  4. Comme le tome III de l’Encyclopédie, contenant la lettre C, ne parut que vers le milieu de novembre 1753, on doit en conclure que la lettre ci-dessus est antérieure à cette époque, au moins de quelques semaines. — Ouant au clavecin oculaire, voyez, tome XXXIV, la lettre 843, à Rameau.