Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/190

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m’a écrit. Ce dernier trait de mes infortunes a achevé de me déterminer. Je ne me plaindrai jamais d’elle ; je conserverai chèrement le souvenir de son amitié ; je m’attendrirai sur ce qu’elle a souffert ; et votre amitié, mon cher ange, restera ma seule consolation. Mon cher ange, je suis bien loin de verser des larmes sur mes malheurs, mais j’en verse en vous écrivant.


2704. — À M. DE FORMONT.
À Colmar, le 29 février.

Mon ancien ami, quand on écrit d’un bout de l’univers à l’autre, il faut mander son adresse. Votre souvenir me console beaucoup ; mais ce que vous me dites des yeux de Mme du Deffant me fait une peine extrême. Ils étaient autrefois bien brillants et bien beaux. Pourquoi faut-il qu’on soit puni par où l’on a péché ! et quelle rage a la nature de gâter ses plus beaux ouvrages ! Du moins Mme du Deffant conserve son esprit, qui est encore plus beau que ses yeux. La voilà donc à peu près comme Mme de Staal, à cela près qu’elle a, ne vous déplaise, plus d’imagination que Mme de Staal n’en a jamais eu. Je la prie de joindre à cette imagination un peu de mémoire, et de se souvenir d’un de ses plus passionnés courtisans, qui s’intéressera toute sa vie à elle.

Je ne sais pas quelle est la paix dont vous me parlez. Ni mon cœur, ni ma bouche, ne firent de paix avec un homme[1] qui m’avait trompé, et qui payait par une ingrate jalousie les soins que j’avais pris de l’enseigner, et les sacrifices que je lui avais faits. Les visions cornues des géants disséqués aux antipodes, et des malades guéris par des pirouettes, etc., n’ont été assurément que des prétextes. Je ne regrette d’ailleurs rien de ce que je méprise. Je ne regrette que mes amis ; et ma sensibilité ne s’est portée douloureusement que sur les traitements barbares qu’un Denis de Syracuse a fait indignement souffrir à une Athénienne qui vaut beaucoup mieux que lui. Les nouvelles qu’on me mande de la littérature ne me donnent pas une grande envie de revoir Paris, Le siècle de Louis XIII était encore grossier, celui de Louis XIV admirable, et le siècle présent n’est que ridicule. C’est une consolation qu’il y ait des gens qui pensent comme vous, mais vous ne ramènerez pas le goût qui est perdu.

  1. Frédéric II.