Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/277

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à vos amis, et surtout à vous, qu’à moi. Je suis persuadé que vous avez tout examiné avec votre sagesse ordinaire ; mais l’événement trompe souvent la sagesse. Vous ne voyez point les allusions, parce que vous êtes juste ; le grand nombre les verra très-clairement, parce qu’il est très-injuste. En un mot, ce qui peut en résulter d’agrément est bien peu de chose. Le danger est très-grand, les dégoûts seraient affreux, et les suites bien cruelles. Peut-être faudrait-il attendre que le grand succès du Triumvirat fût passé ; alors on aurait le temps de mettre quelques fleurs à notre étoffe de Pékin ; on pourrait même en faire sa cour à la personne qu’on craint[1], et on préviendrait ainsi toutes les mauvaises impressions qu’on pourrait lui donner. Vous me direz que je vois tout en noir, parce que je suis malade ; Mme Denis, qui se porte bien, pense tout comme moi. Si vous croyez être absolument sûr que la pièce réussira auprès de tout le monde, et ne déplaira à personne, mes raisons, mes représentations ne valent rien ; mais vous n’avez aucune sûreté, et le danger est évident. Vous seriez au désespoir d’avoir fait mon malheur, et de vous être compromis en ne cherchant qu’à me donner de nouvelles marques de vos bontés et de votre amitié. Songez donc à tout cela, mon cher et respectable ami. Je veux bien du mal à ma maudite Histoire générale, qui ne m’a pas fourni encore un sujet de cinq actes. Je n’en ai trouvé que trois à la Chine, il en faudra chercher cinq au Japon. Je crois y être, en étant à Colmar ; mais j’y suis avec une personne qui vous est aussi attachée que moi. Nous parlons tous les jours de vous ; c’est le seul plaisir qui me reste. Adieu ; mille tendres respects à toute la hiérarchie des anges.


2795. — À MADAME DE FONTAINE,
à paris.
À Colmar, le 6 octobre.

Ma chère nièce, je pense que c’est bien assez que mes trois magots vous aient plu ; mais ils pourraient déplaire à d’autres personnes ; et, quoique ni vous ni elles ne soyez pas absolument disposées à vous tuer avec vos maris, cependant il se pourrait trouver des gens qui feraient croire que, toutes les fois qu’on ne se tue pas en pareil cas, on a grand tort ; et on irait s’imaginer

  1. Mme de Pompadour.