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2799. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Octobre.

J’écris au président Hénault, et je le prie d’engager Royer, qu’il protège, à supprimer son détestable opéra, ou du moins à différer. Vous connaissez, mon cher ange, cette Pandore imprimée dans mes œuvres. On en a fait une rapsodie de paroles du Pont-Neuf ; cela est vrai à la lettre. J’avais écrit à Royer une lettre de politesse, ignorant jusqu’à quel point il avait poussé son mauvais procédé et sa bêtise. Il a pris cette lettre pour un consentement ; mais à présent que M. de Moncrif m’a fait lire le manuscrit, je n’ai plus qu’à me plaindre. Je vous conjure de faire savoir au moins par tous vos amis la vérité. Faudra-t-il que je sois défiguré toujours impunément, en prose et en vers, qu’on partage mes dépouilles, qu’on me dissèque de mon vivant ! Cette dernière injustice aggrave tous mes malheurs. Rien n’est pire qu’une infortune ridicule.

Je demande que, si on laisse Royer le maître de m’insulter et de me mutiler, on intitule au moins son Promèthèe : Pièce tirée des fragments de Pandore, à laquelle le musicien a fait faire les changements et les additions qu’il a crus convenables au théâtre lyrique. Il vaudrait mieux lui rendre le service de supprimer entièrement ce détestable ouvrage ; mais comment faire ? je n’en sais rien ; je ne sais que souffrir et vous aimer.


2800. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Colmar, le 15 octobre.

Mon cher ange, votre lettre du 11 a fait un miracle : elle a guéri un mourant. Ce n’est pas un miracle du premier ordre ; mais je vous assure que c’est beaucoup de suspendre comme vous faites toutes mes souffrances. Je ne suis pas sorti de ma chambre depuis que je vous ai quitté. Je crois qu’enfin je sortirai, et que je pourrai même aller jusqu’à Dijon voir M. de Richelieu sur son passage avec ma garde-malade. Je serai bien aise de retrouver M. de La Marche[1] ; et, quand le président Ruffey devrait encore m’assassiner de ses vers, je risquerai le voyage. Vous me

  1. Ch.-Phil-Fyot de La Marche, président au parlement de Bourgogne, à qui sont adressées les cinq premières lettres de la Correspondance. Richard de Ruffey, compatriote du président de La Marche, était, comme ce dernier, en correspondance avec Voltaire.