Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/337

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seaux[1] sur votre mer, il faut que M. de Giez me fasse au moins avoir des chevaux et un cocher pour venir vous voir, il est bien difficile de trouver un tombeau dans ce pays-ci. Il n’y a dans Monrion ni jardin pour l’été, ni cheminée ni poêle pour l’hiver. On me propose, auprès de Genève, des maisons délicieuses. J’aimerais mieux une chaumière près de vous ; mais j’ai avec moi une Parisienne qui n’a pas encore renoncé, comme moi, à toutes les vanités du monde. Il lui faut de jolies maisons et de beaux jardins. Heureusement on est toujours dans votre voisinage quand on est sur le bord du lac. Je ne suis encore déterminé à rien qu’à vous aimer et à vous voir ; j’attends des chevaux pour venir vous le dire. Je présente mes respects à Mme de Brenles et à tous vos amis.

Mme Goll me mande qu’elle ne sait pas encore quand elle pourra quitter Colmar : ainsi, au lieu d’avoir une amie auprès de moi, je me trouverais réduit à prendre une femme de charge, car il m’en faudra une pour la conduite d’une maison où il se trouvera, malgré ma philosophie, huit ou neuf domestiques.

Notre ami Dupont n’a pas réussi. M. f’Argenson m’a assuré, foi de ministre, que ma lettre était venue trop tard ; et moi, foi de philosophe, je n’en crois rien.

Foi de philosophe encore, je voudrais être auprès de vous. Messieurs de Genève me pressent ; le conseil m’octroie toute permission, mais je ne tiens les affaires faites que quand elles sont signées, et toutes les conditions remplies. Mamdez-moi ce que c’est que la solitude dont vous me parlez. Voilà bien de la peine pour avoir un tombeau. Je suis actuellement trop malade pour aller ; si vous vous portez bien, venez à Prangins ; venez voir un homme qui pense en tout comme vous, et qui vous aime. Vous trouverez toujours à Prangins de quoi loger. Mme de Brenles n’y serait pas si à son aise ; il faut être bien bon et bien robuste pour venir à la campagne dans cette saison.

Je vous embrasse. V.

  1. De petites barques assez grossières apparaissaient seules alors sur ce désert aquatique, comme l’appelait l’empereur Joseph II. Il n’en est pas de même aujourd’hui. Plusieurs bateaux à vapeur vont journellement de Genève à Lausanne, et de cette ville à Genève.