Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/351

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ami, c’est tout ce qu’il faut. Je redoute le monde, et les derniers jours de ma vie doivent être consacrés à la solitude et à l’amitié. Je vous avertis d’avance que mon commerce a besoin de la plus grande indulgence. Des souffrances presque continuelles me réduisent à des assujettissements bien désagréables dans la société. Cette pauvre âme, ce sixième sens dépendant des cinq autres, se ressent de la décadence de la machine. Vous verrez un arbre qui a produit quelques fruits, et dont les branches sont desséchées. Votre philosophie n’en sera point rebutée ; elle connaît la misère humaine. Je vous jure que, si j’acquiers les beaux jardins de Saint-Jean, c’est pour ma nièce ; et, si je peux avoir Monrion, c’est pour vous. Il sera assez singulier que ce soient les environs de la sévère Genève qui soient voluptueux, et que la simplicité philosophique soit le partage des environs de Lausanne. Je vous serai très-obligé si vous voulez toujours entretenir M. de Giez dans la disposition de me louer la maison et le jardin de Monrion, ou du moins ce qui passe pour être jardin ; je suis encore en l’air sur tout cela. Il y a de grandes difficultés sur l’acquisition de Saint-Jean. Le propriétaire de Monrion est un peu épineux. Si la maison de Prélaz est plus logeable pour l’hiver, et si l’on peut s’en accommoder avec moi, ce sera le meilleur parti ; mais il faut commencer par voir le local, et il n’y a que M. Panchaud[1] au monde qui prétende que je doive acheter Monrion sans l’avoir vu.

Enfin, mon cher monsieur, je prie Dieu qu’il m’accorde le bonheur d’être votre voisin. Je vous embrasse. Mille respects à Mme de Brenles. V.

J’apprends dans ce moment que le marché de Saint-Jean est entièrement conclu ; cela est très-cher, mais très-agréable et commode. Il est plaisant que je sois propriétaire d’une terre précisément dans le pays où il ne m’est pas permis d’en avoir.

Cette affaire m’encourage à finir celle de Monrion, si je peux. Il faut donner la préférence à Monrion sur Prélaz, si Prélaz n’est pas meublé ; mais, encore une fois, je veux absolument une solitude auprès de vous. C’est vous qui m’avez débauché ; comptez que j’aime plus la tête du lac que la queue.

J’appelle Saint-Jean les Délices, et la maison ne portera ce nom que quand j’aurai eu l’honneur de vous y recevoir. Les Délices

  1. Lettre du 29 décembre, 1760, au pasteur Bertrand.