Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/391

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rendre ce service aux belles-lettres et au bon goût, dont vous êtes le protecteur ; ce sera une nouvelle obligation que nous vous aurons. Il serait bien cruel que mon oncle, à son âge, accablé de maladies dans sa retraite, eût l’affliction de voir paraître sous son nom un ouvrage qui n’a jamais été fait pour être imprimé, et qu’on a rendu si indigne de lui. Il paye bien cher sa réputation par l’avidité de ceux qui se servent si souvent de son nom pour tromper le public. Mais que ne fait-on pas pour de l’argent et pour nuire aux talents qui excitent l’envie ? La mienne serait de vous convaincre du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, monseigneur, votre très-humble et très-obéissante servante.


Denis.

2921. — À. M. GRASSET[1].
Aux Délices, le 26 mai.

On m’a renvoyé de Paris, monsieur, une lettre que vous avez écrite au sieur Corbi. Vous lui mandez que vous allez faire une édition d’un poëme intitulé la Pucelle d’Orléans, dont vous me croyez l’auteur, et vous le priez de la débiter à Paris. On m’a envoyé, en même temps, des lambeaux du manuscrit que vous achetez. Je dois vous avertir que vous ne pouvez faire un plus mauvais marché ; que ce manuscrit n’est point de moi ; que c’est une infâme rapsodie aussi plate, aussi grossière qu’indécente : qu’elle a été fabriquée sur l’ancien plan d’un ouvrage que j’avais ébauché il y a trente ans ; que c’est l’ouvrage d’un homme qui ne connaît ni la poésie, ni le bon sens, ni les mœurs ; que vous n’en vendriez jamais cent exemplaires ; et qu’il ne vous resterait, après avoir perdu votre argent, que la honte et le danger d’avoir imprimé un ouvrage scandaleux. J’espère que vous profiterez de l’avis que je vous donne ; je serai d’ailleurs aussi empressé a vous rendre service qu’à vous instruire du mauvais marché qu’on vous propose. Si vous voulez m’informer de ce que vous savez sur cette affaire, comme je vous informe de ce que je sais positivement, vous me ferez un plaisir que je reconnaîtrai, étant tout à vous.


Voltaire.
gentilhomme ordinaire du roi.
  1. François Grasset, né à Lausanne, oû il fut libraire, est souvent nommé dans la Correspondance, de 1755 à 1760. Quant à Corbi, digne correspondant de Grasset, son nom est écrit tantôt Corbo, Corbie, et tantôt Corbier, dans les lettres originales de Voltaire. C’était un facteur en librairie, à Paris. (Cl.)