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cette espèce d’Histoire générale qu’on a autant défigurée que mon petit poëme ariostin. C’est un ouvrage plus honnête plus convenable à mon âge et à mon goût ; mais il faut un peu de temps pour achever le tableau des sottises humaines, depuis Charlemagne jusqu’à nos jours. J’ai été indigné et ennuyé de la manière dont on a presque toujours écrit les grandes histoires chez nos modernes. Un homme qui ne saurait pas que Daniel est un jésuite le prendrait pour un sergent de bataille. Cet homme ne vous parle jamais que d’aile droite et d’aile gauche. On retrouve enfin le jésuite quand il est à Henri IV, et c’est encore bien pis. Il semble qu’il ait voulu écrire la vie du révérend père Cotton, et qu’il parle par occasion du meilleur roi qu’ait eu la France ; mais ce qu’il oublie toujours, c’est la nation. L’histoire des mœurs et de l’esprit humain a toujours été négligée. C’est un beau plan que cette histoire ; c’est dommage que la bibliothèque du roi ne soit pas sur les bords de mon lac. Je n’ai pas laissé de trouver quelque secours ; je travaille quand je me porte tolérablement : je bâtis, je plante, je sème, je cultive des fleurs, je meuble deux maisons aux deux bouts du lac, tout cela fort vite, parce que la vie est courte. Mme Denis a eu assez de philosopbie et assez d’amitié pour quitter la vilaine maison que nous occupions à Paris, et pour se transporter dans le plus beau lieu de la nature. Il fallait sans doute cette philosophie et cette amitié, car on est assez porté à croire qu’un trou à Paris vaut mieux qu’un palais ailleurs. Pour moi, je n’aime ni les trous ni les palais ; mais je suis très-content d’une maison riante et commode, encore plus content de mon indépendance, de ma vie libre et occupée ; et sans vous, sans Mme du Deffant, sans quelques autres personnes que je n’oublierai jamais, je serais bien loin de connaître les regrets.

Adieu, mon ancien ami ; continuez à tirer le meilleur parti que vous pourrez de ce songe de la vie. Je vous embrasse tendrement.


2937. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
15 juin.

Mon cher ange, je vous demande toujours en grâce de montrer ce dernier chant à M. de Thibouville, afin qu’il voie que les sottises qu’on y a insérées ne sont pas de moi. C’est un de mes plus violents chagrins qu’un homme que j’aime puisse avoir quelque chose à me reprocher ; et il n’y a certainement d’autre remède que de lui faire voir le manuscrit que vous avez. Tout