Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/466

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plomb ne s’allient pas avec l’or. Permettez-moi de vous le dire, par l’intérêt que je prends à votre repos et à notre instruction ; méprisez de vaines clameurs par lesquelles on cherche moins à vous faire du mal qu’à vous détourner de bien faire. Plus on vous critiquera, plus vous devez vous faire admirer. Un bon livre est une terrible réponse à des injures imprimées ; et qui vous oserait attribuer des écrits que vous n’aurez point faits, tant que vous n’en ferez que d’inimitables ?

Je suis sensible à votre invitation ; et si cet hiver me laisse en état d’aller, au printemps, habiter ma patrie, j’y profiterai de vos bontés. Mais j’aimerais mieux boire de l’eau de votre fontaine que du lait de vos vaches ; et quant aux herbes de votre verger, je crains bien de n’y en trouver d’autres que le lotos, qui n’est pas la pâture des bêtes, et le moly, qui empêche les hommes de le devenir[1].

Je suis de tout mon cœur et avec respect, etc.


3008. — À M. THIERIOT.
Aux Délices, le 10 septembre.

Non, assurément, mon ancien ami, je ne peux ni ne veux retoucher à une plaisanterie faite il y a trente ans, qui ne convient ni à mon âge, ni à ma façon présente de penser, ni à mes études. Je connais toutes les fautes de cet ouvrage ; il y en a d’aussi grandes dans l’Arioste ; je l’abandonne à son sort. Tout ce que je peux faire, c’est de désavouer et de flétrir les vers infâmes que la canaille de la littérature a insérés dans cet ouvrage. Ne vous ai-je pas fait part de quelques-unes de ces belles interpolations ?


Qui, des Valois rompant la destinée,
À la gard’Dieu laisse aller son armée,
Chasse le jour, le soir est en festin,
Toute la nuit fait encor pire train ;
Car saint Louis, là-haut, ce bon apôtre,
À ses Bourbons en pardonne bien d’autre !


Eh bien ! croiriez-vous que, dans le siècle où nous sommes, on m’impute de pareilles bêtises, qu’on appelle des vers ? On

  1. Le lotos croissait dans une île dont les habitants s’appelaient Lotophages, parce qu’ils se nourrissaient de lotos. Homère en fait un mets si délicieux que les dieux de l’Olympe en goûtaient avec plaisir ; les compagnons d’Ulysse n’en voulaient plus d’autre. Le moly préserva Ulysse de l’influence de Circé. Nos botanistes ont désenchanté ces plantes merveilleuses. La dernière est une espèce d’ail. Le lotos est moins déchu : c’est un petit arbre vert d’un aspect agréable ; mais il a perdu son rang et ses propriétés. (Note de Musset-Pathay.)