Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

blé depuis si longtemps. C’était une occasion de faire voir dans tout son jour ce que j’essuie, sans pourtant paraître trop m’en plaindre : car à quoi servent les plaintes ? Ce n’est que dans votre sein, mon cher et respectable ami, qu’il faut déposer sa douleur. Je n’ai su que depuis quelques jours tout ce qui s’est passé entre Mme Denis et M. de Malesherbes. Elle m’avait tout caché, pendant un assez violent accès de ma maladie. Il me paraît qu’elle s’est conduite avec le zèle et la fermeté de l’amitié. Elle devait dire la vérité à Mme de Pompadour. Il était très-dangereux que des minutes informes, des papiers de rebut, qui contenaient l’Histoire du roi, fussent imprimés sans l’aveu du roi. Il est indubitable que Ximenès les a volés ; que La Morlière[1] les a vendus, de sa part, au libraire Prieur ; et que ce La Morlière est encore, en dernier lieu, allé à Rouen les vendre une seconde fois. C’est une chose dont Lambert peut vous instruire. J’ai dû moi-même écrire à Mme de Pompadour[2], dès que j’ai été instruit. Elle m’a mandé sur-le-champ qu’on saisirait l’édition. On l’a saisie, à Paris, chez Prieur ; mais la pourra-t-on saisir à Rouen ? C’est ce que j’ignore. Tout ce que je sais bien certainement, par la réponse de Mme de Pompadour et par sa démarche, c’est qu’il ne fallait pas que l’ouvrage parût.

Pour le procédé de Ximenès, qu’en dites-vous ? Consolez-vous, pardonnez à la race humaine. Il y a un homme de condition[3], dans ce pays-ci, qui en faisait autant, et qui faisait vendre un autre manuscrit par ce fripon de Grasset, dont vos bontés pour moi avaient découvert les manœuvres.

Et que pensez-vous de la belle lettre de Ximenès[4] à Mme Denis, et de la manière dont ce misérable[5] ose parler de vous ? Toutes ces horreurs, toutes ces bassesses, toutes ces insolences, sont-elles concevables ? Je ne conçois pas M. de Malesherbes ; il est fâché

  1. La Morlière, chevalier de l’ordre du Christ, et le premier homme de lettres qui, plus tard, encensa les vertus de la Du Barry, est cité comme un escroc dans les Mémoires de Bachaumont. Né à Grenoble en 1701, mort à Paris en 1785 ; il est auteur de Réflexions sur la tragédie d’Oreste, d’Observations sur celle Amélie, ou le Duc de Foix, et d’une Analyse de l’Orphelin de la Chine. (Cl.)
  2. Cette lettre est perdue. (B.)
  3. Montolieu.
  4. Mme Denis écrivait à Colini, le 15 août 1755, en parlant du manuscrit dérobé chez elle : « Je ne reviens pas encore d’un homme qui vole chez moi une parcelle de brouillon pour la vendre ! moi, amie intime de sa mère, et lui venant très-souvent me voir ! J’ai caché cette horreur à mon oncle, et je ne la lui dirai que lorsque nous aurons réparé le mal. » Il résulte du quatrième alinéa de la lettre 3001 que Voltaire croyait Mme Denis coupable d’une partie de ce mal.
  5. Voyez la lettre 3014.