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écrit que vous étiez fourré dans cette rapsodie[1], avec M. d’Argental ; mais je n’avais point vu ce qui pouvait vous regarder : c’est une abomination qu’il faut oublier ; elle me ferait mourir de douleur. Adieu ; Mme Denis est aussi affligée que moi. Oublions les horreurs de la société humaine. Amusez-vous dans de jolis ouvrages conformes à la douceur de vos mœurs et aux grâces de votre esprit. Nous attendons votre roman avec impatience ; cela sera plus agréable que l’histoire de tout ce qui se fait aujourd’hui. Vous devriez venir prendre du lait ici, pour punir les scélérats qui abusent de votre nom et du mien d’une manière si misérable.

Pardonnez à un pauvre malade obligé de dicter, et qui a dicté cette lettre très-douloureusement.



3050. — À M. G.-C. WALTHER.


Aux Délices, près de Genève, 5 novembre 1755.

Mandez-moi, mon cher Walther, si je peux vous envoyer par la poste cette tragédie de l’Orphelin de la Chine que vous me demandez. Je l’ai encore beaucoup changée depuis qu’elle est imprimée : c’est ainsi que j’en use avec tous mes ouvrages, parce que je ne suis content d’aucun. Cela déroute un peu les libraires, et j’en suis très-fâché ; mais je ne puis m’empécher de corriger des ouvrages qui me paraissent défectueux. C’est un malheur pour moi de connaître trop mes défauts, et il n’y aura jamais de moi d’édition bien arrêtée qu’après ma mort. Le sieur Lambert à Paris, et les sieurs Cramer à Genève, ont voulu, chacun de leur côté, faire une nouvelle édition de mes œuvres. Je ne puis corriger celle de Lambert ; mais je ne puis m’empêcher de corriger, dans celle des frères Cramer, toutes les pièces dont je suis mécontent ; c’est un ouvrage auquel je ne puis travailler qu’à mesure qu’on imprime, il y a à chaque page des corrections et des additions si considérables que tout cela fait, en quelque façon, un nouvel ouvrage. Si vous pouviez trouver le moyen de mettre toutes ces nouveautés dans votre dernière édition[2], cela pourrait lui donner quelque cours à la longue ; mais c’est une chose qui ne pourrait se faire que par le moyen de quelque éditeur habile ; et encore je ne vois pas comment il pourrait s’y prendre. Je suis très-fâché de toute cette concurrence d’éditions.

  1. Variantes du chant XXI.
  2. L’édition de 1752 en sept volumes.