Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/514

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Quant à cette pauvre Jeanne, c’était bien pis, madame, que ce qui a paru devant vos yeux sages et indulgents. Cette Jeanne, à la vérité, s’est un peu corrigée de ses anciennes habitudes ; mais elle n’a pu s’habiller assez décemment pour paraître à votre vue. Le fait est qu’il en courait des copies aussi insolentes qu’infidèles, et qu’il a fallu rassembler à la hâte ce qu’on avait de cette ancienne plaisanterie, pour empêcher au moins les fausses Jeannes, qui se multipliaient tous les jours, de se donner hardiment pour la véritable. Je n’avais précisément, madame, que ce qui est actuellement entre les mains de Votre Altesse sérénissime. Si mon âge et ma façon de penser, devenue un peu sérieuse, me permettaient de continuer un tel ouvrage, j’oserais y travailler encore ; mais ce serait uniquement pour obéir à vos ordres. Ma sévérité ne m’empêcherait pas de faire ce que la sévérité d’une grande maîtresse ne l’empêche pas de lire. Mais l’Ode de la Mort m’arrête et me glace ; comment plaisanter devant un tel objet ? Il est vrai qu’un ancien, nommé Horace, parlait de la mort et du Tartare dans une ode, et de Philyre et de vin de Falerne dans une autre. Apelles peignait Vénus après avoir peint les Furies. La mort a beau faire, elle ne chassera point les grâces d’auprès de votre personne. Elles y sont toujours. Il n’y a pas moyen de venir leur demander à présent comment il faut s’y prendre pour vous obéir, madame. Nos montagnes sont couvertes de neige, et il n’est pas possible de traverser le Rhin et le Weser. Il faut se contenter de saluer la forêt de Thuringe des bords de mon grand lac. Il faut se borner à présenter de loin, ce qui est bien triste, mes profonds respects, mon attachement éternel à Votre Altesse sérénissime et à votre auguste famille.


3058. — À MESSIEURS DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE[1].
Novembre 1755.

Messieurs, je crois qu’il n’appartient qu’à ceux qui sont, comme vous, à la tête de la littérature, d’adoucir les nouveaux désagréments auxquels les gens de lettres sont exposés depuis quelques années.

Lorsqu’on donne une pièce de théâtre à Paris, si elle a un peu de succès, on la transcrit d’abord aux représentations, et

  1. Cette lettre, dont il n’existe aucune trace dans les archives de l’Académie française, avait été, ainsi que la réponse (voyez lettre 3064), mise par les éditeurs de Kehl dans une note de leur préface de la Pucelle.