Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la livrer aux comédiens ; mais je ne me gouverne pas par moi‑même ; il a fallu céder aux désirs de mes amis, dont les volontés sont des ordres pour moi. C’est à vous à voir si vous aurez plus de courage que je n’en ai eu.

Avez-vous entendu la musique de Pandore ? Confiez-moi ce que vous en pensez ; il faut dire la vérité à ses amis. Je crois qu’il y a des morceaux très-agréables ; mais on dit qu’en général la musique n’est pas assez forte. Je ne m’y connais point, et vous êtes passé maître, Dites-moi la vérité encore une fois, et fiez‑vous à ma discrétion. Adieu ; je ne suis pas trop en état de causer avec un homme qui se porte bien ; mais je ne vous en aime pas moins.

6724. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
6 février.

Votre créature l’a échappé belle, mes divins anges. Les conseillers d’État, les neiges et les maladies attachées à l’âge et à la rigueur du climat, me réduisaient à une pénible situation. Je trouve que de tous les fléaux la crainte est encore le pire ; elle glace le sang, elle n’a donné une espèce d’attaque d’apoplexie. Béni soit monsieur le vice-chancelier, qui a été mon premier médecin ! Mais jugez si jai pu, pendant un mois de transes continuelles, faire à ces pauvres Scythes ce que j’aurais fait si mon pauvre corps et mon âme avaient été moins tourmentés et moins affaiblis. Tels qu’ils sont, ils pourront ne pas déplaire, puisqu’ils ne nous déplaisent pas et que nous sommes difficiles. Nous en avons suspendu les répétitions, parce que la rigueur de la saison a augmenté dans notre Sibérie, et que nous sommes tous malades. Il n’y a plus moyen de tenir à mon âge dans ce climat, qui est aussi horrible pendant l’hiver qu’il est charmant pendant l’été. Vous, qui n’avez pour montagne que Montmartre et les Bons‑Hommes, jouissez en paix de vos doux climats. Je me flatte que vous aurez un très-beau temps le carême, et que les Scythes pourront faire quelque plaisir à mes chers compatriotes, qui sont quelquefois si difficiles et quelquefois si indulgents. Les affaires les plus désespérées peuvent réussir, et j’en ai une bonne preuve. On dit qu’il faut remercier deux ou trois maîtres des requêtes qui sont parents de l’abbé Mignot ; mais sans monsieur le vice-chancelier, il n’y avait rien de fait. Je n’avais l’honneur de le connaître que

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.