Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore un peu clair au printemps. L’aventure[1] dont vous avez la bonté de me parler dans vos deux lettres est une de ces fatalités qu’on ne peut pas prévoir. Je pense que vous croyez à la destinée ; pour moi, c’est mon dogme favori. Toutes les affaires de ce monde me paraissent des boules poussées les unes par les autres. Aurait-on jamais imaginé que ce serait la sœur de ce brave Thurot tué en Irlande[2] qui serait envoyée, à cent cinquante lieues, à un homme qu’elle ne connaît pas, qui s’attirerait une affaire capitale pour le plus médiocre intérêt, et qui mettrait dans le plus grand danger celui qui lui rendrait gratuitement service ? L’affaire a été extrêmement grave, elle a été portée au conseil des parties. On a voulu la criminaliser, et la renvoyer au parlement. C’est principalement monsieur le vice-chancelier dont les bontés et la justice ont détourné ce coup. Cette funeste affaire avait bien des branches. Vous ne devez pas être étonné du parti qu’on allait prendre, c’était le seul convenable ; et, quoiqu’il fût douloureux, on y était parfaitement résolu : car il faut prendre son parti sans pusillanimité dans toutes les occasions de la vie, tant que l’âme bat dans le corps. On risquait, à la vérité, de perdre tout son bien en France ; on jouait gros jeu ; mais, après tout, on avait brelan de roi quatrième[3]. Je vous donne cette énigme à expliquer. J’ajouterai seulement qu’il y a des jeux où l’on peut perdre avec quatre rois, et qu’il vaut mieux ne pas jouer du tout. Je crois que la personne à laquelle vous daignez vous intéresser ne jouera de sa vie.

Cette affaire d’ailleurs a été aussi ruineuse qu’inquiétante ; et la personne en question[4] vous a une obligation infinie de la bonté que vous avez eue de la recommander à M. l’abbé de Blet.

Où aura l’honneur, monseigneur, de vous envoyer, par l’ordinaire prochain, ce qui doit contribuer à vos amusements du carnaval[5] ou du carême ; il faut le temps de mettre tout en règle, et de préparer les instructions nécessaires. Si on n’avait que soixante-dix ans, ce qui est une bagatelle, on viendrait en poste avec ses marionnettes, et on aurait la satisfaction de vous voir dans votre gloire de niquée[6].

  1. L’affaire Le Jeune.
  2. Voyez la note, tome XL, page 332.
  3. Voltaire serait allé chercher asile chez l’un des quatre rois protecteurs des Sirven ; voyez lettre 6730.
  4. Voltaire ; il s’agit des deux cents louis versés par Richelieu.
  5. La tragédie des Scythes ; voyez lettre 6669.
  6. Voyez la note, tome XXXVII, page 125.