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de détruire les cloîtres, au moins de commencer à diminuer leur nombre. Ce moment est venu, parce que le gouvernement français et celui d’Autriche sont endettés, qu’ils ont épuisé les ressources de l’industrie pour acquitter leurs dettes sans y parvenir. L’appât de riches abbayes et de couvents bien rentés est tentant. En leur représentant le mal que les cénobites font à la population de leurs États, ainsi que l’abus du grand nombre de Cuculati qui remplissent leurs provinces, en même temps la facilité de payer en partie leurs dettes en y appliquant les trésors de ces communautés, qui n’ont point de successeurs, je crois qu’on les déterminerait à commencer cette réforme ; et il est à présumer qu’après avoir joui de la sécularisation de quelques bénéfices, leur avidité engloutira le reste.

Tout gouvernement qui se déterminera à cette opération sera ami des philosophes, et partisan de tous les livres qui attaqueront les superstitions populaires et le faux zèle des hypocrites qui voudraient s’y opposer.

Voilà un petit projet que je soumets à l’examen du patriarche de Ferney. C’est à lui, comme au père des fidèles, de le rectifier et de l’exécuter.

Le patriarche m’objectera peut-être ce que l’on fera des évêques : je lui réponds qu’il n’est pas temps d’y toucher encore ; qu’il faut commencer par détruire ceux qui soufflent l’embrasement du fanatisme au cœur du peuple. Dès que le peuple sera refroidi, les évêques deviendront de petits garçons dont les souverains disposeront, par la suite des temps, comme ils voudront.

La puissance des ecclésiastiques n’est que d’opinion ; elle se fonde sur la crédulité des peuples. Éclairez ces derniers, l’enchantement cesse.

Après bien des peines, j’ai déterré le malheureux compagnon de La Barre[1] : il se trouve porte-enseigne à Wesel, et j’ai écrit pour lui.

On me marque de Paris qu’on prépare au Théâtre-Français, avec appareil, la représentation des Scythes[2]. Vous ne vous contentez pas d’éclairer votre patrie, vous lui donnez encore du plaisir. Puissiez-vous lui en donner longtemps, et jouir dans votre doux asile des délices que vous avez procurées à vos contemporains, et qui s’étendront à la race future autant qu’il y aura des hommes qui aimeront les lettres, et d’âmes sensibles qui connaîtront la douceur de pleurer ! Vale.

Fédéric
6813. — DE CATHERINE II[3],
impératrice de russie.
À Moscou, ce 15 et 26 mars 1767.

Monsieur, j’ai reçu hier votre lettre du 24 février, où vous me conseillez de faire un miracle pour rendre le climat de ce pays moins rude. Cette ville-ci était autrefois très-accoutumée à en voir, ou plutôt les bonnes gens

  1. D’Étallonde de Morival ; voyez lettres 6671, 6735, 6779.
  2. La représentation eut lieu le 26 mars.
  3. Collection de Documents, Mémoires et Correspondances, relatifs à l’histoire de l’empire de Russie, tome X, page 175.