Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/195

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premier ne me plaît guère que dans les notes qui accompagnent ses éloges. Je n’aime point le style oriental qui se met à la mode. Il est dommage qu’on ne cherche plus à allier la force avec le naturel, et que Lucain ait parmi nous plus d’imitateurs que Virgile. En général, j’ai été content de la manière d’écrire de M. de La Harpe. S’il passe encore quelque temps avec vous, il achèvera de perfectionner des talents qui donnent les plus grandes espérances. Dès que vos Scythes seront imprimés, je vous prie de m’en envoyer un exemplaire. J’aime toujours les lettres, et même les vers, surtout quand c’est vous qui les avez faits. Rarement j’en lis d’autres. Je deviens vieux, mon cher confrère, puisque je deviens si difficile. J’espère que nous verrons bientôt vos commentaires sur la petite guerre de Genève. Il ne tiendra qu’à vous de les écrire comme César. L’intérêt des événements ne pourra être le même, et je crois que les comptes de votre maître-d’hôtel y joueront le premier rôle.

Dans vos moments de loisir, je vous prie de vous moquer un peu de la bouffissure qui règne aujourd’hui. En fait de goût, dès que les premières bornes seront franchies, on ne sait plus jusqu’où l’on pourra aller. Nous touchons presque au galimatias. Est-il possible que dans un siècle où vous écrivez on s’éloigne si fort du style de Racine, de Despréaux, et du vôtre ! Rendez encore ce service aux lettres. Vous pouvez faire cette heureuse révolution en vous jouant.

Adieu, mon cher confrère ; soyez toujours aimable. Vivez, malgré la délicatesse de vos organes et la vivacité de votre âme : soyez un prodige dans le monde physique comme dans le monde moral ; et surtout ayez de l’amitié pour moi, qui vous admire et qui vous aime.

6815. — À M. DAMILAVILLE.
27 mars.

Je ne sais comment les paquets que vous m’avez adressés me parviendront. Il n’y a plus de voitures de Lyon à Genève ; et, malgré toutes les bontés de M. le duc de Choiseul, nous serons dans l’état le plus gênant et le plus désagréable jusqu’à ce que l’on ait fait un nouveau chemin. Nous ne pouvions même faire venir des étoffes de Lyon que par le courrier. Un commis du bureau de Collonges[1], aussi insolent que fripon, nous a saisi nos étoffes ; ainsi je ne vois pas comment les cinquante mémoires de M. de Beaumont en faveur des Sirven me parviendront. Nous souffrons infiniment des mesures qu’on a prises très-justement contre Genève ; nous payons les fautes de cette ville. Il est bon d’être philosophe, mais il est triste d’être toujours obligé de se servir de sa philosophie.

  1. Voyez lettre 6817.