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ANNÉE 1767

condoléance à la Sorbonne sur l’embarras où elle doit être au sujet du sort des païens vertueux : car si ces païens sont damnés, Dieu est atroce ; et, s’ils ne le sont pas, on peut donc à toute force être sauvé sans être chrétien. Damnés ou sauvés, Dieu nous garde d’être en l’autre monde dans la compagnie des docteurs !

Votre ami Jean-George de Pompignan, par la permission divine évêque du Puy et frère de Simon Lefranc, a refusé de faire l’oraison de madame la dauphine, pour laquelle l’archevêque de Reims l’avait fait nommer, par quelques raisons d’intrigue qu’on ignore. Jean-George a senti qu’il n’y ferait pas bon pour lui ; que ceux qu’il a appelés mauvais chrétiens pourraient bien ui prouver qu’il est encore plus mauvais orateur. Le parlement vient d’ordonner aux évêques de s’en retourner chacun chez eux, parce qu’ils tenaient, dit-on, des assemblées secrètes. On ne sait ce qu’il en arrivera ; mais, pendant qu’on se battra, la raison aura peut-être quelques moments pour respirer. Adieu, mon cher maître ; on m’a assuré que les Scythes avaient bien réussi aux deux dernières représentations : recevez-en mes compliments Vale, et me ama.

Savez-vous que Rousseau a une pension de 2,400 livres du roi d’Angleterre ? Un honnête homme ne l’aurait pas obtenue.

6827. — À M. ***[1].
6 avril 1767.

Je comptais, monsieur, vous remercier de jour en jour en connaissance de cause, et vous parler du plaisir que m’aurait fait le livre que vous avez bien voulu m’envoyer, mais je ne l’ai point encore reçu. Il est, depuis près de trois semaines, à la douane de Lyon. Il n’y a plus de communication entre Lyon et Genève. Votre livre est arrêté avec du vin de Bourgogne. Passe encore pour du vin, mais je ne puis supporter qu’on me prive d’un ouvrage dont on m’a dit tant de bien, et dans lequel j’espérais m’instruire. Je fais beaucoup plus de cas de mon âme que de mon gosier, et je consens que les soldats qui m’entourent boivent mon vin, pourvu que je vous lise.

Au reste, que puis-je vous répondre sur l’article de J.-J. Rousseau, sinon que je le plains beaucoup d’avoir insulté ses amis et ses bienfaiteurs, d’avoir manqué à sa patrie et d’avoir mérité l’indignation des ministres à qui nous devons la paix.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec tous les sentiments que je vous dois, etc.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.