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CORRESPONDANCE.

pour le qualifier équivalent à peu près aux épithètes de voleur, de coquin qui ne se serait pas fait scrupule de tromper le roi, son ministre, et vous-même, en demandant un privilège, quoique vous sachiez, monsieur, que, loin d’établir un droit de propriété, il se réduit à la permission d’imprimer, qu’on n’exerce qu’après avoir fait preuve de l’acquisition de l’ouvrage qu’on publie.

Ne suis-je donc pas en droit de demander une réparation authentique du tort que cet avis honnête et modéré pourrait faire à la mémoire de mon mari, et de la tache qu’il m’imprime à moi-même ? J’attends donc de votre seule justice, monsieur, cette réparation, et je ne doute point qu’elle ne soit aussi douce que facile à un cœur comme le vôtre, qui nous a donné tant de fois le précepte et l’exemple de la droiture.

J’ose donc me flatter que vous voudrez bien vous donner la peine d’écrire à M. de Sartines pour faire supprimer ce libelle, indigne d’emprunter votre nom, quand vos sentiments lui sont si contraires. D’ailleurs, quel motif assez puissant pourrait vous engager à priver du fruit de leurs travaux et de leurs avances des citoyens vos patriotes, que vous avez plusieurs fois honorés de votre protection, pour le transporter à des étrangers avides qui ne nous prennent déjà que trop ? Je n’ai pas moins lieu que vous de me plaindre de la mauvaise foi qui règne aujourd’hui. Car combien d’ouvrages que j’ai payés d’avance, et dont les auteurs ont fait la vente ailleurs sous différents titres !

D’après ces détails j’ose attendre, monsieur, l’honneur de votre protection, que vous m’avez comme promise dès l’année passée, à l’occasion de la nouvelle édition de la Henriade, en m’envoyant la copie et l’instruction pour l’ordre de la typographie. Les gravures seules sont cause du retard, mais je compte sous quelques semaines vous envoyer cinq à six bonnes épreuves. Si j’eusse voulu donner à toutes sortes de graveurs, les choses seraient bien plus avancées ; mais quel reproche ne me ferait pas le public, si jaloux de l’éclat de la Henriade, qu’il regarde comme le seul poëme national que nous ayons, si la perfection des gravures ne répondait pas à la célébrité d’un ouvrage si sûr de passer à la postérité ! J’espère, par les mêmes recherches et les mêmes soins, avoir aussi le même avantage dans la suite pour votre théâtre, et, réparant par là tous les torts, mériter vos bontés les plus particulières. Je suis avec respect, monsieur, votre, etc.

N. B. Peu de temps avant la funeste mort de mon mari, nous avions pris la liberté de vous faire demander les différents changements qu’il y aurait à faire dans l’édition actuelle. Je suis toujours dans la même disposition ; dès que vous aurez daigné me faire passer vos notes, j’y ferai mettre la main tout de suite.

6837. — À M. DAMILAVILLE.
13 avril.

Mon cher ami, vous aurez tout ce que vous demandez. Mais il faut auparavant savoir si mon paquet du 9 ou du 10 vous a