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ANNÉE 1767

pitre de Bélisaire que quelques hommes de collège calomnient à Paris. Nous serions couverts d’opprobre si tous les honnêtes gens, dont le nombre est très-grand en France, ne s’élevaient pas hautement contre ces turpitudes pédantesques. Il y aura toujours de l’ignorance, de la sottise, et de l’envie, dans ma patrie ; mais il y aura toujours aussi de la science et du bon goût. J’ose vous dire même qu’en général nos principaux militaires et ce qui compose le conseil, les conseillers d’État et les maîtres des requêtes, sont plus éclairés qu’ils ne l’étaient dans le beau siècle de Louis XIV. Les grands talents sont rares, mais la science et la raison sont communes. Je vois avec plaisir qu’il se forme dans l’Europe une république immense d’esprits cultivés. La lumière se communique de tous les côtés. Il me vient souvent du Nord des choses qui m’etonnent. Il s’est fait, depuis environ quinze ans, une révolution dans les esprits qui fera une grande époque. Les cris des pédants annoncent ce grand changement comme les croassements des corbeaux annoncent le beau temps.

Je ne connais point le livre[1] dont vous me faites l’honneur de me parler. J’ai bien de la peine à croire que l’auteur, en évitant les fautes où peut être tombé M. de Montesquieu, soit au-dessus de lui dans les endroits où ce brillant génie a raison. Je ferai venir son livre ; en attendant, je félicite l’auteur d’être auprès d’une souveraine qui favorise tous les talents étrangers, et qui en fait naître dans ses États. Mais c’est vous surtout, monsieur, que je félicite de la représenter si bien à Paris.

J’ai l’honneur, etc.

6980. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[2].
14 auguste 1767, à Ferney.

Madame, je suis pénétré jusqu’au fond du cœur des lettres dont Votre Altesse sérénissime m’honore. Vos bontés devraient sans doute bannir de mon esprit toute idée d’un La Beaumelle. S’il n’était question que de moi, je n’y penserais pas ; mais daignez songer, madame, que je dois répondre au tribunal de l’Europe des vérités que j’ai dites dans le Siècle de Louis XIV, siècle heureux, où toute la branche Ernestine, dont vous êtes aujour-

  1. L’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, par Le Mercier de La Rivière. (K.) — Voyez lettre 6970.
  2. Éditeurs, Bavoux et François.