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CORRESPONDANCE.

Balai qui soutinssent l’honneur de la France. Cette belle lettre parvint à M. le duc de Choiseul, qui d’abord goba cette sottise, et qui bientôt après me rendit plus de justice que vous ne m’en rendez. Tout ce qui reste, ce me semble, à faire après cette petite infamie, c’est d’abandonner le théâtre pour jamais. Je mourrai bientôt, mais il mourra avant moi. Ce siècle des raisonneurs est l’anéantissement des talents ; c’est ce qui ne pouvait manquer d’arriver après les efforts que la nature avait faits dans le siècle de Louis XIV. Il faut, comme le dit élégamment Pierre Corneille,

…Céder au destin, qui roule toutes choses[1].

Pour moi, qui ai vu empirer toutes choses, je ne regrette rien que vous.

Je me doutais bien que Mme de Groslée vous jouerait quelque mauvais tour ; c’est bien pis que Mlle Dubois. Ces collatéraux-là ne sont pas votre meilleur côté.

Adieu, mon cher ange ; achevons notre vie comme nous pourrons, et ne nous fâchons pas injustement. Il y a dans ce monde assez de sujets réels de chagrin. Tous les miens sont plus adoucis par votre amitié qu’ils n’ont été aigris par vos reproches. Comptez que je vous aimerai tendrement jusqu’au dernier moment de ma vie.

7049. — À MADEMOISELLE CLAIRON.
18 octobre.

Vous m’apprenez, mademoiselle, que vous revenez du pays où j’irai bientôt. Si j’avais su votre maladie, je vous aurais assurément écrit. Vous ne doutez pas de l’intérêt que je prends à votre conservation ; il égale mon indifférence pour le théâtre que vous avez quitté. Il fallait, pour que je l’aimasse, que vous en fissiez l’ornement.

Si vous voulez vous amuser à faire la Scythe[2] chez Mme de Villeroi, j’ai l’honneur de vous en adresser un exemplaire par M. Janel. Une bagatelle intitulée Charlot ou la Comtesse de Givry a été exécutée à Ferney d’une manière qui peut-être ne vous aurait pas déplu ; c’est à vous qu’il appartient de juger des talents.

  1. Corneille a dit dans Pompée, acte I, scène i :
    Et cédons au torrent, etc. ;


    voyez tome XXXI, page 429.
  2. C’est-à-dire jouer le rôle d’Obéide dans la tragédie des Scythes.