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CORRESPONDANCE.

savoir comment les huîtres font l’amour ; cela n’est encore tiré au clair par aucun naturaliste.

J’attends avec bien de l’impatience l’ouvrage de M. Anquetil[1] ; j’aime Zoroastre et Brama, et je crois les Indiens le peuple de toute la terre le plus anciennement civilisé. Croiriez-vous que j’ai eu chez moi le fermier général du roi de Patna[2] ? Il sait très-bien la langue courante des brames, et m’a envoyé des choses fort curieuses. Quand on songe que, chez les Indiens, le premier homme s’appelle Adimo, et la première femme d’un nom qui signifie la vie, ainsi que celui d’Ève ; quand on fait réflexion que notre article le était a vers le Gange, et qu’Abrama ressemble prodigieusement à Abram, la foi peut être un peu ébranlée ; mais il reste toujours la charité, qui est bien plus nécessaire que la foi. Ceux qui m’imputent l’épigramme contre M. Dorat n’ont point du tout de charité, l’abbé Guyon encore moins ; mais vous en avez, et de celle qu’il me faut. Je vous le rends bien, et je vous aime de tout mon cœur.

7110. — À M. D’ALEMBERT.
26 décembre.

Sur une lettre que frère Damilaville m’a écrite, j’ai envoyé, mon cher frère, chercher dans tout Genève les lettres qui pouvaient vous être adressées ; on n’a trouvé que l’incluse. Vous savez que je ne vais jamais dans la ville sainte où Jésus-Christ ne passe pas plus pour Dieu que Riballier et Coger ne passent à Paris pour être des gens d’esprit et d’honnêtes gens. Je ne sais quel démon a soufflé depuis quinze ans sur les trois quarts de l’Europe, mais la foi est anéantie. Mon cœur en est aussi navré que le vôtre. Les jansénistes sont aussi méprisés que les jésuites sont abhorrés. La totale interruption du commerce entre Genève et la France a empêché vos sages lettres sur les jansénistes[3] d’entrer dans le royaume. La douane des pensées les a saisies à Lyon. L’imprimeur jette les hauts cris, et s’en prend à moi. Consolons-nous ; un temps viendra où il sera permis de penser en honnête homme.

  1. Abraham-Hyacinthe Anquetil-Duperron, ne en 1731, mort en 1805, frère d’Anquetil l’historien, publia, en 1771, Zend-Avesta, ouvrage de Zoroastre traduit en français sur l’original zend, deux tomes en trois volumes in-4°.
  2. Peacock, à qui est adressée la lettre 7089.
  3. Les Lettre et Seconde Lettre dont nous avons parlé ci-dessus, nos 6781 et 6872.